morcée en 2010, la fronde viticole contre la suppression européenne des droits de plantation de la vigne après 2015 ressemble à une véritable saga. S'y succèdent le décompte des voix pour atteindre une majorité qualifiée au Parlement Européen, les réunions d'un Groupe de Réflexion à Haut Niveau, le revirement de la Commission Européenne, la réforme de la Politique Agricole Commune...
Toujours en cours, ce feuilleton est né de la tenacité d'une véritable task force œuvrant dans les couloirs de Bruxelles et des Assemblées. Deux des acteurs français de ce lobbying avaient pour mission d'ouvrir la sixième Journée Scientifique de Montpellier SupAgro (organisée par l'Institut des Hautes Etudes de la Vigne et du Vin), autopsiant notamment les mécanismes ayant permis le retour des droits de plantation sur la table des négociations. « La langue de bois étant interdite » annonçait en préliminaire de cette rencontre le professeur Etienne Montaigne (directeur de l'UMR Moisa).
L'histoire de 3 ans de lobbying politique...Rentrant dans le vif du sujet, Pascal Bobiller-Monnot (directeur de la CNAOC) a tiré la chronologie de cette « histoire, une vraie et longue histoire qui dure depuis 3 ans ». Tout a commencé « en 2008, quand la commissaire européenne à l'Agriculture, Mariann Fischer Boel, a proposé un plan d'ultra libérisation de l'agriculture. Le volet viticole ne proposait pas que la disparition des droits de plantation. Ce projet a abouti, les Etats Membres producteurs s'étant divisés sur les sujets abordés. L'Espagne ne voulait pas de la suppression des aides à la distillation de bouche, pour l'Italie c'était l'aide aux moûts, pour l'Allemagne la chaptalisation, etc. » Le Parlement Européen n'étant pas décisionnaire à l'époque, le Conseil des Ministres de l'Agriculture adopte ainsi la disparition des droits de plantation, à compter du premier janvier 2016 (avec possibilité de prolonger de 2 ans le système dans les états le souhaitant).
Commence alors la mise en place d'un plan d'action qui a pour double objectif de convaincre les décisionnaires européens (le trilogue : Commission, Parlement et Conseil) de la nécessité de revenir sur cette décision et d'en faire un sujet lors des réformes de la PAC. « Pourquoi à ce moment ? Parce que c'est la seule fenêtre possible, les élections européennes et le renouvellement de la Commission vont faire de 2014 une année morte à Bruxelles » ajoute Pascal Bobiller-Monnot. Le calendrier politique aura été un élément majeur dans le lobbying des droits de plantation. Les élections locales espagnoles de juillet 2011 auraient ainsi beaucoup à voir avec le ralliement du gouvernement ibérique au maintien des droits de plantation (officialisé le 5 mai 2011). C'était auparavant le seul grand pays producteur européen à soutenir la décision de 2008.
La chancelière allemande Angela Merkel demeure la première chef d'état à critiquer la suppression des droits de plantation, dès mars 2010. Ce n'est qu'en janvier 2011 que le président Nicolas Sarkozy aligne la position française sur celle allemande. Mais Pascal Bobiller-Monnot précise que « cette déclaration officielle n'était pas directement liée à notre travail d'information de la profession et de mobilisation des parlementaires français. Les jeunes viticulteurs d'Alsace avaient annoncé pour la visite du président une manifestation réclamant le maintien des droits de plantation. Ces images auraient dénoté pour des vœux au monde agricole... » A un an des élections présidentielles, le gouvernement apporte le soutien de l'appareil d'Etat (notamment diplomatique) à la demande de maintien des droits de plantation, ce qui aboutit au ralliement d'autres ministres européens de l'agriculture dès avril 2011.
A un an des élections présidentielles, les lobbyistes font entrer dans le jeu les communes françaises ayant plus de 50 hectares de vignes. Sur les 3 000 communes saisies par l'Association Nationale des Elus du Vin, 2 000 envoient des délibérations au Ministère de l'Agriculture. « Nous avons été haïs de tous ces hauts fonctionnaires » se rappelle amusé Pascal Bobiller-Monnot. Le président français confirmant son soutien, le ministre de l'agriculture Bruno Le Maire demande alors à Bruxelles d'inscrire le maintien de droits de plantation dans la réforme de la PAC. « Face à ces positions et une pression toujours croissante, le commissaire à l'agriculture Dacian Cioloş ne pouvait que réagir » commente Pascal Bobiller-Monnot. En janvier 2013 était formé le GHN.
L'aboutissement de la quête du Grââl ?Viticulteur à Florensac, Thiery Coste préside le groupe de travail vin de la COPA-COGECA. A ce titre il a participé aux réunions du GHN, avec les autres représentants de la filière, la Commission Européenne, les représentants du Conseil, des rapporteurs du Parlement... Il est à noter que si les représentants professionnels de la production étaient « unis comme un seul homme », le négoce a choisi de défendre la réforme de 2008. « Un mauvais choix, cela aurait pu être fatal au modèle du négociant européen, qui est calqué sur l'atomisation de la production » juge Thierry Coste.
Craignant une manœuvre de discussion et non de proposition pour gagner du temps, il estime « que les deux premières réunions étaient inutiles. La deuxième était même une réflexion à bas niveau, les compte-rendus avaient été rédigés à l'avance ! » Pour Pascal Bobiller-Monnot « les négociations étaient alors dans l'œil du cyclone. Le jeu du marchandage pour la PAC commençait et il ne fallait pas laisser le front uni des Etats Membres producteurs se fissurer ». Après concertation, la France, l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie adoptent une position commune symbolisée par une plate-forme commune.
Les instances européennes ayant convié l'Assemblée des Régions Européennes Viticoles à présenter ses études économiques sur les droits de plantations, les débats du troisième GHN aboutissent à une inflexion importante de la Commission Européenne. Cette dernière envisage désormais le maintien d'une régulation pour les vins à indications géographiques. « Le fond était toujours libéral, notamment avec un principe d'autorisation automatique, mais un premier pas était fait. Et ce n'était pas prévu ! Les communiqués de conclusion rédigés à l'avance ont été publiés par erreur. Ils n'étaient plus d'actualité » s'exclame Thierry Coste. Dacian Cioloş va jusqu'à déclarer que « la libéralisation des droits de plantation n'est plus une option ».
Ne se satisfaisant pas de ces avancées, les élus européens de la filière appellent au rassemblement, suivis par les représentants de la filière qui annoncent une manifestation de vignerons devant la Commission Européenne, à Bruxelles. Ces annonces auraient secoué l'administration européenne, qui ne souhaitait pas de tels remous à l'approche de la réforme de la PAC. Le quatrième et dernier GHN ayant été reporté à de multiples reprises (pour cause d'indisponibilité de locaux), il s'est finalement déroulé en décembre. C'est au forceps que les conclusions sur le maintien des droits de plantations pour tout le vignoble européen ont été prises et signées par la Commission.
« Cela ressemblait même à un pugilat... » confie Thiery Coste. « Mais lors de la première réunion, la Commissaire Européen nous avait annoncé qu'il ne voulait plus de status quo. Et que si nous arrivions à lui proposer un projet commun, il prendrait ses responsabilités. Nous avons su le lui rappeler. » Les négociations concernant le dispositif législatif des droits de plantation est actuellement en cours de négociation au cœur du trilogue. Face aux conclusions du GHN et de la Commission, le Parlement a demandé le maintien à l'identique des droits de plantation jusqu'en 2030, tandis que le Conseil des Ministres propose un renouvellement du vignoble à 1 %, avec un dispositif devant être révisé au bout de 6 ans. Des positions qui sont loin d'être opposées. Rapporteur pour le Parlement Européen, Michel Dantin nous confiait que le vote des députés en faveur d'un maintien à l'identique des droits de plantation jusqu'en 2030 était lié à des impératifs de calendrier (pour en savoir plus, cliquer ici).
Selon Pascal Bobiller-Monnot, cela répond également à une demande de la profession, qui souhaitait « une posture politique forte pour négocier un accroissement de la durée du mécanisme. Suite à une décision de la Cour Européenne de Justice, les droits de plantation sont considérés comme une atteinte à la propriété. Le dispositif doit obligatoirement être limité dans le temps » Les prochains épisodes de l'histoire auront lieu en juin, avec la réunion du trilogue et l'adoption de la réforme de la PAC.
Pour Thiery Coste la mobilisation continue, « afin d'éviter que le modèle traditionnel d'une viticulture mosaïque et familiale ne céde la place à des blocs industriels comme en Australie ou au Chili où seul le degré d'extraction varie d'un vin de cépage à l'autre ». Une vision de la protection de la ruralité dans sa diversité qu'il partage avec Pascal Bobiller-Monnot.
[Photos de Thiery Coste et Pascal Bobiller-Monnot : Alexandre Abellan]