Quand vous achetez un vin biologique, vous n’achetez pas que du vin » c'est ainsi que s'ouvre la lettre « électrochoc » du vigneron bordelais Patrick Boudon (président du Syndicat des Vignerons Bio d’Aquitaine), qui s'adresse à tous les acheteurs de vins bio (professionnels comme consommateurs). Rappelant que la production de vin bio repose sur des engagements aussi durables que coûteux (environnementaux, économiques et sociétaux), Patrick Boudon s'alarme de contrats signés à des cours ne dépassant pas les 1 300 € le tonneau de Bordeaux rouge (contre 1 600 € l'an dernier). Dénonçant une vente à perte, il s'appuie sur une récente étude de la Chambre d’agriculture de la Gironde qui estime à 1 934 € le prix de production d'un tel tonneau*. Pour rétablir une juste répartition des marges, il demande aux opérateurs de croire en l'avenir du bio. Et il prend directement à partie « une petite poignée d’acheteurs [ayant] décidé que les vignerons Bio travailleront désormais pour rien », leur assénant que « rien ne justifie, sur le plan économique, des offres aussi faibles ».
Se disant sensible à ces arguments, le négociant Allan Sichel (président de la Fédération des Négociants de Bordeaux et Libourne) n'en reste pas moins pragmatique. Voire sur la défensive quand il juge que « le marché des vins est beaucoup trop ouvert et les acteurs trop nombreux pour pouvoir organiser une spéculation concertée à la baisse ». Avec une logique a priori impartiale, il fixe les prix sous l'équilibre du marché, l'offre et de la demande n'étant pas connectée au coût de revient. Cette approche implacable ne convainc pas Patrick Boudon, persuadé que le consommateur serait près à payer la différence, du moins si le négoce la répercutait sur le prix de vente. Craignant des déconversions après trois millésimes difficile, il reconnaît, cependant, que les cours des vins conventionnels sont tout aussi mal lotis, si ce n'est plus.
Ramenée à la place de Bordeaux, la baisse des cours des vins bio s'inscrit, en effet, dans la tendance de la campagne 2014-2015. En Bordeaux rouge conventionnel, le prix moyen à 1 300 € du tonneau millésimé 2013 n'est plus d'actualité. Le prix moyen du 2014 se situe à « 1 200 € le tonneau, avec une base de premier prix à 1 100 € » rapporte Stéphane Héraud (président de la cave de Tutiac). Relativisant le fléchissement du cours des vins de Bordeaux prévisible (avec une production annoncée à 5,3 millions hl), il s'estime au contraire « satisfait par ces prix. Avec notre rendement en 2014, la viticulture va réaliser son meilleur chiffre d'affaires depuis 15 ans ! » Ce réalisme ne fait pas l'unanimité dans le vignoble, Pierre-Etienne Garzaro (président de la Fédération des Vignerons Indépendants de Gironde) estimait encore il y a une dizaine de jours que « les cours des vins de Bordeaux sont, et restent, insuffisants pour pouvoir dignement vivre de son travail » .
Si « le manque de rentabilité n'est malheureusement pas l'apanage exclusif des vins bios », Allan Sichel garde foi dans le plan Bordeaux Demain, et prêche pour son pilotage collectif afin de « développer la demande (publicité, communication, promotion, formation), avec l'objectif de repositionner le curseur d'équilibre entre l'offre et la demande à un niveau plus rémunérateur. Mais l'incantation ne suffira pas. »
Pour lire la lettre ouverte de Patrick Boudon, cliquer ici.
* : dans le cadre d'une exploitation de 15 hectares en AOC Bordeaux rouge, avec un rendement de 48 hl/ha
[Photo de Patrick Boudon : SVBA]