n Languedoc, l’hydrologie régénérative fait partie des pratiques innovantes soutenues par le programme Vitilience , lancé en 2024 par l’Institut Français de la Vigne et du Vin (IFV), pour renforcer la résilience du vignoble face à la sécheresse. A l’occasion d’une journée technique dédiée, ce 9 décembre au château Lastours, dans les Corbières, les problématiques liées aux plantations de deux sites démonstrateurs d’hydrologie régénérative en viticulture ont été présentés. « C’est un terme récent basé sur des concepts anciens, qui visent globalement à ralentir le cycle de l’eau, pour la retenir, la répartir et l’infiltrer efficacement dans les sols, en suivant les lignes de niveaux et en aménageant des fossés à rédents, des haies, des noues, des rigoles et des mares d’infiltration », résume en présentation le chercheur d’AgroParisTech Montpellier Jean-Stéphane de Bailly. « Mais nous n’avons pas encore beaucoup de réponses à donner pour savoir si ça marche, car c’est encore très peu documenté », enchaîne-t-il, « l’eau s’infiltre mais où va-t-elle ? Nous avons peu de réponses d’où la nécessité d’expérimenter ».
La parcelle en terrasses du château de Lastours en cours de terrassement avant plantation en 2026
Au château de Rey, à Canet-en-Roussillon, et au château de Lastours donc, dans l’Aude, ce sont les épisodes marquants de sécheresse de 2023 qui ont été déclencheurs de la prise de décision de leurs responsables vers des leviers de résilience face à la sécheresse. « Nous avons eu une grosse perte en 2023, mais il y a d’autres leviers à activer avant l’irrigation, comme la taille physiologique, et la capacité de rétention de l’eau dans le sol alors qu’il y a quand-même eu deux épisodes de 50 mm en mai et en septembre 2023, chaque fois en moins d’une heure, donc sans que le sol trop sec puisse retenir cette eau », décrit le vigneron du château de Rey Rémi Sisqueille. La directrice technique du château Lastours Anne-Laurence de Gramont a également vu 2023 comme une année bascule dans les choix culturaux. « Déjà en 2021, il avait peu plu, mais nous disposons d’une retenue collinaire pour l’irrigation sur la propriété qui permet d’alimenter l’irrigation. Sauf qu’en 2022, puis surtout en 2023, les faibles pluie n’ont pas re-rempli cette retenue, et nous avons déploré ces effets de la sécheresse avec ce nanisme des rameaux jamais observé jusque-là », déroule-t-elle.
Désireux de trouver des moyens « d’intégrer plus facilement l’eau dans nos sols lorsqu’elle est là, mais aussi de ramener de la biodiversité et des arbres dans nos parcelles », Rémi Sisqueille se tourne vers les spécialistes de l’hydrologie régénérative et l’accompagnement de l’IFV dans le cadre du projet Vitilience. « Nous sommes partis d'une feuille vierge, c’est un avantage, de surcroît sur une parcelle caillouteuse, donc sans contractions d’argile », décrit Rémi Sisqueille qui a fait intervenir le consultant Alain Malard pour superviser le projet sur une parcelle plane. De son côté, Anne-Laurence de Gramont explique que « dans la réflexion avec ma direction, nous constations ne pas vouloir reproduire les choix techniques de plantation faits il y a 20 ans, en échec face à la sécheresse, pour explorer des pistes ayant du sens pour les 30 prochaines années, d’où le choix de l’hydrologie régénérative pour des démonstrateurs de ce projet Vitilience sur deux parcelles, l’une plate et l’autre en dévers nécessitant l’aménagement de terrasses en courbes de niveaux ».
Si les deux opérateurs reconnaissent « essuyer les plâtres » de ce type d’installation en viticulture, ils préviennent « des délais importants du seul opérateur en France qui plante mécaniquement selon les courbes de niveaux, quasiment deux ans ». Entre la définition et la matérialisation des courbes de niveaux, la préparation et le terrassement de la parcelle, puis la spécificité de plantation, les deux vignerons estiment un surcoût d’environ 30 % par rapport à une plantation classique. « Sachant que ce type de plantation ne permet pas l’accès aux aides publiques, l’intégration dans Vitilience a été décisive pour pouvoir obtenir une aide de financement qui compense finalement ce surcoût », résume Anne-Laurence de Gramont. « Vitilience ne prend pas en charge les coûts liés à la plantation, mais à hauteur de 30 % de l’ensemble des charges liées au coût annule du travail sur la parcelle plantée, ce qui compense le surcoût », précise Rémi Sisqueille.
OB- Rémi Sisqueille
Ayant déjà restructuré son vignoble sur les variétés rouges, Rémi Sisqueille a fait le choix « d’une complantation de cépages blancs plutôt tardifs qui se caractérisent par leurs bons niveaux d’acidité : Terret blanc, Carignan blanc, Tourbat et Xarello plantés en hétérogène sur la parcelle ». Tant le choix des cépages que du mode de conduite poussent automatiquement cette parcelle (1 ha environ, plantée en janvier 2025 en 2,25mx1,25m, soit une densité d’environ 3500 pieds conduits en gobelet) du château de Rey hors d’une éligibilité potentielle en appellation. La question de la mécanisation est également au centre des préoccupations des deux vignerons. « Rien n’est droit ! » sur la parcelle de Rémi Sisqueille qui appréhende le passage de l’intercep « où il faudra s’adapter et prendre beaucoup plus de temps, mais on devrait y arriver ! ».
Anne-Laurence de Gramont distingue ses deux parcelles. « Sur celle du bas, à peu près plane et plantée en avril 2025, c'est plutôt une double haie qui est plantée sur une keyline (ligne de niveau clé) qui a pour rôle de redistribuer les écoulements dans la parcelle », décrit-elle, « alors que la parcelle plus haute a nécessité de gros terrassements pour dessiner des terrasses selon les courbes de niveau, ce qui est inhabituel pour les terrasses, et préparer les sols en vue d’une plantation en 2026 ». Sur sa parcelle déjà plantée la responsable technique du château Lastours a pu vérifier depuis avril la possibilité de passages d’outils mécanisés, « c’est acquis, mais c’est en revanche sur le passage de la machine à vendanger lors de futures récoltes que nous sommes incertains ». Selon les calculs qu’elle a tenu, l’installation de la parcelle plane a coûté 15 000 €/ha, contre 20 000 €/ha pour la parcelle en terrasse. Pour pouvoir rester en appellation, elle a choisi « une densité de plantation de 4 000 pieds/ha avec les cépages mourvèdre, vermentino et syrah, ainsi que du verdejo et le Bouquet G9 en espérant que d’ici les 3 ans d’entrée en production, on puisse les permettre en expérimentation dans le cahier des charges AOC ».




