’est un kafka d’école que vit et subit depuis des années le viticulteur retraité Guy Marignane, 68 ans, pour une aide à la restructuration refusée à cause d’une surface on ne peut plus changeante selon les contrôles de FranceAgrimer. Alors qu’il était encore à la tête du Mas de la Croix à Orsan (Gard), il avait demandé l’aide à la restructuration d’une parcelle de clairette sur 94,05 ares en Côtes-du-Rhône Villages sur la campagne collective 2021-2022. Ce qui devait représenter une subvention de 12 414,60 € pour arracher et planter de la syrah.
Mais FranceAgriMer ne l’a pas entendu de cette façon, ses services ayant estimé le 27 avril 2021 qu’il ne pouvait être arraché que 65,84 ares sur cette parcelle dont les dimensions ne variaient que pour la première fois d’une longue série. Sur écran ou sur place, « ce contrôle n’a pas été expliqué et il est incompréhensible. On ne sait pas ce qui s’est passé » soupire Guy Marignane. L’affaire administrative prend un tour singulier quand le 3 novembre 2021 une autorisation de replantation de 94,05 ares est finalement attribuée par FranceAgriMer au domaine. Qui reçoit ensuite une avance de 3 611 € en juin 2022. Retournement de situation lors du rapport de contrôle de l’aide à la restructuration du 18 août 2022 qui valide la plantation de 94,05 ares de syrah mais relève en même temps que 12,83 ares de la parcelle n’ont pas été arrachés.
« Ils nous ont donné 94 ares pour replanter et après ils estiment que l’on n’a pas tout arraché alors que l’on a bien replanté 94 ares. Je n’ai pas inventé de surface ! Quand on compte le nombre de ceps replantés on arrive sur les bons chiffres » plaide aujourd’hui Guy Marignane, qui a demandé à l’époque un recours et de nouveaux contrôles, en vain. Pour débloquer la situation alors que le temps passait, le viticulteur a plaidé l’erreur le 8 décembre 2022 en indiquant un contrôle de plantation au ras des souches de 85,38 ares, permettant de chiffrer à moins de 10 % la sous-réalisation et d’avoir une simple proratisation pour que l’administration passe à autre chose. Erreur, les services de FranceAgriMer ont déclaré en juin et septembre 2023 qu’il y a eu « fausse déclaration » pour obtenir une aide et qu’ils sanctionnent (à 20 % du montant, soit 2 482,92 €) en reprenant l’avance (3 611,52 € avec 5 % de pénalité). Soit un montant de 6 275,02 €.
(R)aide à la restructuration
« Toute la trésorerie était passée dans la plantation, comme on se disait que l’on allait avoir la prime » explique Guy Marignane, qui a dû contracter un emprunt bancaire de 6 000 € sur quatre ans afin de régler l’amende administrative. Pour lui, « FranceAgriMer ne veut pas reconnaitre son erreur. Nous sommes face à un mur. » Ayant sollicité des élus locaux, le viticulteur a su persuader de l’aberration de son dossier. « J’attends la démonstration mathématique expliquant comment, sur une même parcelle, M. Marignane a pu être sanctionné pour n’avoir pas arraché la surface requise tout en ayant replanté intégralement les 0,9405 ha validés par le contrôle » cingle dans un courrier à FranceAgriMer la députée Pascale Bordes (Gard, Rassemblement National), demandant : « monsieur Marignane est-il un magicien pour arriver à faire coexister sur une même parcelle 94 a 05 ca de vignes fraîchement plantées et 12 a 83 ca de vignes "non arrachés" alors même que la surface disponible pour planter des vignes sur cette parcelle n’a jamais excédé 94 a 05 ca ? » Contacté, FranceAgriMer indique que l’administration « porte toute son attention à chaque dossier, mais l’Etablissement ne peut pas apporter d’information sur des cas individuels ».
S’étant également impliqué, le sénateur Laurent Burgoa (Gard, les Républicains) a envoyé ce 14 janvier 2025 une lettre demandant une intervention à la ministre de l’Agriculture pour « une révision bienveillante de son dossier afin que les aides auxquelles il pourrait prétendre lui soient accordées, même sur une base proratisée ». La ministre Annie Genevard lui a répondu le 29 janvier : « je puis vous assurer qu’une réponse sera apportée à votre intervention dans les meilleurs délais ». Guy Marignane et le sénateur indiquent ne pas avoir eu de retours depuis. Contactés, le cabinet de la ministre n’a pas donné suite à date de publication.
Reste le coût de cette aide qui n’a pas été versée et qui est devenue sanction pour le fils de Guy Marignane, Théo Marignane, 30 ans, qui a repris l’exploitation en 2023 pour exploiter les 25 hectares du domaine (dont 4 ha en propre, en appellations Chusclan, Côtes-du-Rhône et Côtes-du-Rhône Villages). N’ayant pas reçu l’aide à la restructuration, ayant réglé les frais de prestation et les pénalités de l’administration, « c’est un trou dans la trésorerie de 20 000 €. Alors que l'on n'a pas fraudé. C’est injuste et aberrant » soupire Théo Marignane, qui désormais a peur de planter : « cette histoire peut faire tomber une affaire encore jeune. Je ne sais pas si je vais tenir longtemps. »
« Cette année, mon fils a arraché la fameuse parcelle qui jouxte celle que nous voulions restructurer. Et il ne demandera pour replanter que quand il aura de la trésorerie, pour ne pas risquer des sanctions » rapporte Guy Marignane, d’autant plus dépité qu’en 2024 FranceAgriMer a décidé de ne plus pénaliser les sous-réalisations pour les surfaces restructurées, mais de réduire l’aide perçue du même niveau que la sous-réalisation. Affecté par ces épisodes administratifs, Guy Marignane ne veut pas se lancer dans une longue saga judiciaire : « ce serait le pot de terre contre le pot de fer ».



