ranceAgriMer, l’Établissement national des produits de l’Agriculture et de… l’amer ? Avec ses refus d’aides et ses recours en justice, « FranceAgriMer en train de pourrir la vie de beaucoup de monde » soupire Nicolas Carreau, qui témoigne moins en tant que président de l’appellation Blaye Côtes de Bordeaux que de vigneron (dirigeant les Vignoble Carreau, en Gironde). « C’est infernal » témoigne-t-il, alors qu’il se débat depuis 2021 pour obtenir la totalité des aides à la promotion du vin sur les pays tiers pour l’appel à projet lancé de novembre 2018 et une convention signée l’été 2019. Soit 15 512,22 € non versés en 2021 sur les 31 992,17 € demandés, pour 63 984,34 € dépensés en 2019 pour des actions en Chine, aux États-Unis et au Japon. FranceAgriMer ayant rejeté un recours grâcieux l’été 2022, les Vignobles Carreau ont saisi le tribunal administratif de Bordeaux, qui a annulé le refus de paiement de l’établissement dans son jugement du 7 novembre 2024.
La juridiction invalide notamment les arguments de FranceAgriMer sur le manque de comparaison d’offre et de mise en concurrence pour les dépenses de prestation services supérieures 20 000 €. « Une telle condition ne figurait pas dans l’article 3.9 de la décision du 14 septembre 2018 mais a été rajoutée, au même article, dans la décision du 8 octobre 2019 qui n’était pas applicable car entrée en vigueur postérieurement à la signature de la convention » explicite le tribunal administratif, pour qui « dans ces conditions, la société requérante est fondée à soutenir que la décision attaquée du premier juillet 2022 est entachée d’une erreur de droit ». Ne reconnaissant pas une application de règles postérieures à la convention signée l’été 2019, FranceAgriMer relance la querelle devant la cour d’appel de Bordeaux ce début 2025.


« Candidement, je pensais que le fait d’avoir obtenu raison au tribunal administratif mettrait fin à la procédure et que j’aurai les aides de 2019. Mais ils font appel. Je trouve ça complétement fou : c’est odieux, c’est l’administration dans toute sa splendeur » bouillonne Nicolas Carreau. « Alors que la filière meurt à petit feu, voir cette administration affirmer sur son site qu’elle verse des aides en soutien, c’est kafkaïen » pour le vigneron, qui a monté seul son dossier d’aides et se félicite de ne pas avoir demandé d’avancer : « sinon ils m’auraient demandé un remboursement avec des pénalités… »
Les réponses de FranceAgriMer
Ne commentant pas les dossiers judiciaires individuels, FranceAgriMer précise à Vitisphere que l’établissement « agit en justice en fonction de considérations strictement juridiques ». Pas d’acharnement procédural, mais une le principe général d’intransigeance en allant au bout des affaires judiciaires : « en tant qu’organisme payeur d’aides financières dont l’allocation et la gestion sont précisément encadrées et vérifiées par de nombreux organismes de contrôle et d’audit externes (Cour des comptes française et européenne, Commission de certification des comptes des organismes payeurs du Ministère des finances, Commission européenne, Agence française anticorruption notamment), il lui revient de veiller au respect des normes qui les régissent. Ainsi, une gestion des mesures d’aide qui ne serait pas scrupuleuse se solderait par d’importantes corrections financières (jusqu’à plusieurs millions d’euros), des sanctions administratives ou disciplinaires, voire de poursuites pénales. »
FranceAgriMer confirme ce qui se dit dans la filière vin : la peur du gendarme européen tétanise l’administration. Quitte à être plus royaliste que le roi dans l’application de la réglementation communautaire grince-t-on également dans le vignoble. Il faut dire que les fonctionnaires eux-mêmes peuvent être inquiétés : « la responsabilité personnelle des agents de l’établissement ordonnateurs des dépenses indues pourrait également être engagée et ce, y compris pour des fonds versés plusieurs années auparavant, les délais de prescription étant d’ailleurs rallongés en cas de contentieux » indique FranceAgriMer.


Plus précisément, le choix de faire appel est acté « dès lors que notre établissement estime que les conclusions des tribunaux de première instance ne sont pas conformes aux normes juridiques applicables ou qu’un éclairage du juge d’appel est requis, lorsque subsistent des questions d’interprétation du droit » poursuit FranceAgriMer, notant cependant que l’établissement « attache la plus grande attention aux différents recours qui lui sont soumis, et tient compte des situations individuelles, en particulier lorsque les demandeurs d’aide rencontrent des difficultés, et s’efforce systématiquement de trouver des solutions adaptées, dans la limite de ce que permet le respect de la règlementation nationale et européenne. »
Fonds retournés à Bruxelles
Autre interrogation dans la filière vin : que deviennent les fonds alloués que FranceAgriMer ne versent finalement pas ? « Les sommes recouvrées retournent dans le Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) » répond l’établissement, précisant qu’« elles ne sont pas déduites des futures campagnes d’aide. Il n’y a pas de "plus-value", c’est un jeu d’écriture à somme nulle pour l’établissement. Quand les comptes sont apurés (validés par les autorités européennes), les montants versés par l’Europe ne sont jamais supérieurs à ce qui est prévu par enveloppe annuelle, soit environ 270 millions € par an pour les mesures vitivinicoles du Plan Stratégique National (PSN). » En termes de chiffres, FranceAgriMer précise qu’« il n’existe aucun chiffrage ni estimation de ce que ce volume financier représente annuellement ou sur une moyenne d’un exercice FEAGA ».
« On se prive de fonds potentiels, on marche complétement sur la tête » réagit Nicolas Carreau, qui ne comprend pas la logique administrative : « quel est l’intérêt de faire appel quand la justice leur donne tort, sinon nuire aux administrés ? On nous met des bâtons dans les roues avec acharnement pour ne pas nous verser un centime. Les coûts en avocat deviennent plus élevés que les fonds en question. Cela doit représenter des sommes faramineuses d’argent public dilapidé. Le but de FranceAgriMer est-il d’aider la filière vin ou d’enrichir des avocats ? » Ayant déjà écarté le projet d’attaquer un refus d’aides de 6 000 € à cause de son coût en frais de justice, Nicolas Carreau pointe que « dans la campagne, et même dans les interprofessions, tout le monde a été empapaouté, mais peu attaquent. Je ne redemande plus d’aides pour prospecter dans de nouveaux pays, c’est trop risqué. Même si le tribunal leur donne tort, ils continuent… Alors qu’on ne va pas bien. »


Mais FranceAgriMer annonce mener un « important travail de simplification des mesures, à tous les niveaux, que les professionnels ont salué à plusieurs reprises dans les instances de concertation, et en particulier au sein du conseil spécialisé vin et cidre. » Un cap que confirme Jérôme Despey, le président du conseil spécialisé vin de FranceAgriMer, qui pointe des simplifications dans les dossiers d’aide à la promotion, ainsi que la refonte des contrôles pour la restructuration/reconversion du vignoble et les investissements vitivinicoles. S’il peut suivre les recours grâcieux d’aides refusées, le viticulteur languedocien indique que si la procédure amiable n’aboutit pas et débouche sur un contentieux, ni le conseil spécialisé, ni son président, ni le conseil d’administration de FranceAgriMer n’ont plus la main sur le dossier. « Je souhaite que FranceAgriMer ait un traitement plus humain des conflits. Il informer rapidement les bénéficiaires de l’avancée des recours » indique Jérôme Despey, constatant qu’« aujourd’hui, la situation n’est pas satisfaisante. Il y a aussi un sujet humain : quelqu’un peut se tromper, mais le droit à l’erreur actuellement applicable n’est pas satisfaisant. »