Aujourd’hui, quand on me sollicite pour une filtration tangentielle, c’est presque toujours dans l’urgence, devant une contamination par Brettanomyces ou une montée de volatile », observe Frédéric Hilaire, prestataire en filtration installé à Bellevigne-en-Layon, dans le Maine-et-Loire. Longtemps utilisé pour sécuriser l’ensemble du chai, le filtre tangentiel semble désormais être réservé aux cas critiques. En cause : un coût jugé trop élevé dans un contexte de forte tension économique. « Les trésoreries sont trop fragiles », observe-t-il.
Selon lui, le filtre tangentiel reste onéreux à l’achat comme à l’usage, ce qui se répercute directement sur les tarifs qu’il pratique : « Les écarts de prix sont parlants : on est autour de 2,80 à 2,90 €/hl pour une filtration tangentielle, contre 2,50 à 2,70 €/hl pour une filtration sur terre. Et pour les petits volumes, je facture au forfait. Un client situé à une heure de route m’a récemment demandé de filtrer 30 hl : cela lui revenait à 800 €. »
Olivier Hock, technicien filtration chez Biotech Œnologie, à Béziers, constate lui aussi une baisse de la demande : « Avant, je filtrais toutes les cuves d’un domaine, mais cela devient rare. Désormais, les vignerons attendent d’avoir des marchés pour filtrer leurs vins. 60 % de ceux qui demandent le tangentiel le font pour sécuriser une filtration stérile sur cartouche en vue d’une expédition à l’export et 40 % nous appellent en urgence à cause de problèmes microbiologiques. Et presque 100 % de nos nouveaux clients nous contactent pour des problèmes microbiologiques. »
Depuis quelques années, ce dernier observe une légère baisse des filtrations dégrossissantes en cours d’élevage : « Lorsqu’un vin a bien déposé après plusieurs mois d’élevage en barriques, certains vignerons n’effectuent qu’une seule filtration avant la mise. C’est une tendance que l’on perçoit. »
Pour assurer ses prestations, Fabrice Delaveau dispose de 23 filtres-presses contre seulement deux filtres tangentiels. « La majorité de nos clients privilégient les filtres-presses avant de filtrer sur cartouches à la mise », relate-t-il. Et en cas de contamination microbiologique, il recommande une autre approche : « La flash-pasteurisation donne de meilleurs résultats que le tangentiel. »
Pour le millésime 2024, il a enregistré une baisse de 10 % des volumes filtrés. Autre changement plus marqué encore : « Auparavant, nous avions de la visibilité sur notre planning pour trois semaines à un mois. Désormais, les demandes arrivent souvent à la dernière minute. »
Un constat partagé par Bertrand Collange, œnologue et directeur des agences Gemstab du Val de Loire et de l’Aquitaine. « On nous appelle pour filtrer au dernier moment, généralement quand les commandes tombent », indique-t-il. Ce dernier n’emploie que des filtres tangentiels et remarque une baisse de l’activité : « Les vins rouges se vendent moins et attendent plus longtemps en cuve. Cela permet à certains vignerons de filtrer seulement avant la mise en bouteille. »
Non loin de là, dans le nord de l’Aquitaine, où intervient Loïc Béarnais, directeur de Béarnais Filtration & Embouteillage, 10 à 20 % des vignerons font cette campagne l’impasse sur la filtration précoce du nouveau millésime. « C’est la première année où l’on remarque que les clients font attention. Ce sont principalement ceux qui vendent en vrac au négoce. Les cours étant très bas, ajouter une filtration ne serait pas rentable », explique-t-il.
Une stratégie qu’il juge discutable : « Ces vignerons ont besoin de soutirer davantage ou d’utiliser plus de produits œnologiques, comme des enzymes ou des colles. Je ne suis pas certain que cela soit rentable, sauf peut-être pour les indépendants qui ne comptent pas leurs heures. Sans compter les risques microbiologiques. Sans filtration, les vins de presse peuvent être difficiles à clarifier par la suite et présenter des déviations organoleptiques. » Quant au choix du matériel, Loïc Béarnais reste un partisan du tangentiel pour les filtrations de pré-mise. « Ceux qui ont goûté au tangentiel font rarement machine arrière », assure-t-il.
Joanna Denis, assistante de production chez Embouteillage Services témoigne « Depuis environ trois ans, on observe une évolution des pratiques. De plus en plus de clients renoncent à filtrer systématiquement en élevage, surtout lorsque leurs vins se montrent stables et que les analyses microbiologiques ne révèlent aucun risque. Si la filtration reste incontournable pour l’export, ce n’est pas le cas pour la France. Les caves qui vendent en direct aux particuliers assument pleinement le choix de ne plus filtrer. Certains prennent le temps d’expliquer leur démarche au caveau, d’autres précisent sur l’étiquette que le vin n’a pas été filtré et qu’un léger dépôt peut apparaître. C’est une façon de supprimer un coût, tout en valorisant une approche plus naturelle. »


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