urvivantes de l’époque communiste, Milestii Mici et Cricova, les deux entreprises viticoles 100 % étatiques de Moldavie, ont le vent en poupe. Situées toutes deux à une quinzaine de kilomètres de la capitale Chisinau, la première au sud, la seconde au nord, leurs interminables galeries souterraines et leurs énormes collections de vin enchantent les touristes. Milestii Mici affirme posséder une collection de 1,5 million de bouteilles – la plus grande au monde – et 150 km de tunnels.
Un peu moins dotée avec 120 km de tunnels, sa rivale Cricova, située dans le village du même nom, met l’accent sur les mousseux dont elle produit 7 millions de bouteilles sur un total de 10 millions. Lacrima Dulce, son best-seller, est un classique des mariages moldaves. Ion Borta, directeur technique de 38 ans, est fier de son équipe composée de « 45 jeunes pleins d’énergie » et se réjouit de l’avenir. « Nous avons prévu de planter 100 ha de chardonnay et de glera [le cépage du prosecco, ndlr]. Dans trois ans, nous aurons 1 000 ha. » Cricova expédie la moitié de sa production à l’étranger, un chiffre en hausse de 10 % par rapport à 2024.
D’autres grosses caves ont été privatisées. Purcari est de ce nombre. Située à une centaine de kilomètres au sud-est de la capitale et à 20 kilomètres de la mer Noire, cette cave est l’une des plus dynamique du pays. Ses 450 hectares de vignes bénéficient d’une irrigation précise et économe alimentée par deux bassines d’eau que remplit le fleuve Dniepr, tout proche. Gheorghe Arpentin, directeur R et D, a identifié ses différents terroirs et installé des caméras pour observer la biodiversité.
Cette cave historique fut rendue célèbre par le Negro di Purcari, un vin rouge à base de cabernet-savignon que commandait régulièrement Elisabeth II d’Angleterre. Elle produit aujourd’hui 10 millions de bouteilles par an, dont un million d’effervescents de méthode traditionnelle, une offre qu’elle compte développer raison pour laquelle elle a récemment acquis deux pressoirs champenois Coquard.
Autre grosse cave, Radacini exploite 800 hectares dans les trois IGP du pays – Codru au centre, tefan Voda et Valul lui Traian au sud – et produit 7,5 millions de bouteilles. Dans sa cuverie située à Cricova, juste à côté de la cave d’état, une dizaine de gyropalettes témoignent de la production de mousseux en méthode traditionnelle. Vendus sous la marque Métier, ces vins représentent 30 % de ses mousseux, le reste étant des méthodes Charmat. Les effervescents, dans leur ensemble, comptent pour 40 % de la production totale de Radacini. « C’est un marché que nous développons de plus en plus », explique Elena Uporova, la directrice marketing. Le Radacini Métier Brut Natur, un blanc de noirs à base de cabernet-sauvignon, a été élu « meilleur cabernet du monde » en 2024 au Concours International des cabernets.
À côté de ces géants se développent des domaines plus modestes comme Crama Mirceti. À l’origine du projet, Arcadie Fosnea, 47 ans, ex-directeur technique du château Vartely, une autre propriété moldave. En 2009, il achète une ruine à l’État et plante 3,5 ha. Aujourd’hui, son domaine compte 18 ha de 14 variétés plantés en amphithéâtre entre 270 et 360 m d’altitude, « les vignes les plus hautes du pays », dit-il fièrement. Il a restauré la bâtisse, ouvert des chambres et un restaurant, construit une cave. En tout, il a investi plus de 2 millions d’euros, avec l’aide d’un entrepreneur local, pour produire tout au plus 150 000 bouteilles dont 20 000 de mousseux.
Un autre projet de même taille se trouve à Crocmaz à 140 km au sud de la capitale. Après une carrière aux États-Unis dans les casinos, Alexandru Luchianov décide de revenir au pays en 2002. Il crée Et Cetera, un domaine de 24 hectares qu’il a dû replanter pour avoir fait quelques erreurs de porte-greffe. Après avoir construit sa cave et commercialisé ses premiers vins, il se rend compte qu’un « tandem vin-tourisme est nécessaire » pour trouver gagner sa vie. Il construit un hôtel avec une piscine et ouvre un restaurant. Sa femme est aux manettes : « Nous sommes complets de début mai à fin octobre », se réjouit-il.
En tout, la Moldavie compte 70 petits producteurs (100 000 bouteilles pas plus) qui se sont lancés ses quinze dernières années avec le soutien de Wine of Moldova, l’agence chargée de la promotion des vins du pays.
Ce nouveau paysage, encourageant, n’est pas sans nuages. La sécheresse menace bien des secteurs, obligeant les producteurs à installer des systèmes d’irrigation performants et coûteux : « Sans eau, le vignoble disparaîtra », soutient Gheorghe Arpentin. Alexandru Luchianov qui ne récolte que 4 tonnes par hectare va s’y coller. Par ailleurs, la main-d’œuvre manque. Attirés par l’Ouest, les jeunes quittent le pays. Purcari, qui vendange toujours toutes ses vignes à la main, a du souci à se faire. Le vignoble a aussi besoin d’être restructuré, trop de vignes étant plantées à 1 500 pieds par ha. Enfin, malgré leur qualité indéniable, les vins moldaves restent peu valorisés. Rares sont les bouteilles qui partent à l’export à plus de 1,55 € départ cave. Mais, tout comme l’export, ce chiffre semble croître : « Rien qu’au cours des huit premiers mois de 2025, nous avons fait + 7 % », rappelle Stefan Imandi. Un vent d’optimisme souffle sur la viticulture moldave.
« Nous avons des résultats incroyables au Japon », annonce fièrement Stefan Imandi, directeur de l’Office national de la vigne et du vin de Moldavie chargé la promotion des vins à l’étranger sous la bannière Wine of Moldova. Grâce à l’antenne japonaise de cette agence, les exportations ont doublé depuis 2019, passant de 221 200 hl à 409 200 hl en 2024 pour une valeur qui est passée 489 400 € à 962 700 €. Les effervescents connaissent la plus grande croissance. Il faut dire que les Japonais en boivent de plus en plus (six fois plus qu’il y a quarante ans). Mais c’est l’ensemble de l’export qui progresse. Si la Russie représentait encore 90 % de ses exportations en 2005, la Moldavie exporte désormais 51 % en Europe, essentiellement en Roumanie, aux Pays-Bas et en Belgique.


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