itisphere écrit par… Olivier Nasles, vigneron et oléiculteur, qui préside le Syndicat des Vins d’Aix-en-Provence, ainsi que du Comité National de l'Agriculture Biologique et de l’AOP huile de Provence. En août 2005, l’œnologue partageait sur Vitisphere son exaspération reposant notamment sur des constats toujours d’actualité : « la consommation du vin en France baisse inexorablement (15 % entre 1999 et 2003) et baissera encore dans les années à venir (disparition des buveurs réguliers au profit des buveurs occasionnels, il faut 5 occasionnels pour remplacer 1 régulier) » alors que « l'éparpillement de l'offre française et son manque de lisibilité et de compréhension voire d'attractivité pour l'export la mettent en difficulté pour la conquête de nouveaux marchés ». 20 ans plus tard, Olivier Nasles « avoue que je ne me souvenais plus avoir fait cette analyse. Mais je ne suis pas sûr que je changerai beaucoup de choses aujourd’hui… »
En 2005, il décortiquait les « faiblesses et scléroses de la filière française » en s’appuyant sur le groupe de travail animé par Jacques Berthomeau, contrôleur général au ministère de l’Agriculture, à l’occasion de son rapport de juillet 2001 : "comment mieux positionner les vins français sur les marchés d'exportation ?" « Depuis trente ans, nombre d'entre-nous ont compris que pour sauver un semblant d'agriculture en France face à la mondialisation, seule la notion d'origine permettrait de justifier le décalage de prix » entre les vins français et leurs concurrents explique Olivier Nasles, pointant que « la stratégie mise en place à travers les AOC et les IGP, tous produits confondus, est, donc, la seule possible. Mais si cette stratégie est valable pour les produits de niche (l'huile d'olive en est un exemple frappant), elle ne peut pas résoudre la mise en marché de production de masse. Il ne faut pas oublier que la France pèse 20 % de la production mondiale de vins et que donc nous ne sommes plus dans le cadre d'une niche, mais dans la position de devoir répondre à tous les segments du marché en nous y adaptant. Dans une économie basée sur l'offre et la demande, on ne doit pas s'entêter à produire plus que ce que le marché est capable d'absorber. » Et le vigneron de citer un dicton toujours valable : "on ne fait pas boire l’âne qui n’a pas soif".
En 2005 déjà, « le marché mondial des vins à origine est saturé, il ne faut donc pas s'entêter à vouloir lui faire absorber une offre supérieure à sa demande. En revanche, le marché des vins à goût, lui, est en plein développement, il faut donc y répondre et mettre en marché des produits de séduction et de plaisir » plaidait Olivier Nasles. Qui alertait sur les risques d’une approche purement marketing. « Dans le monde du commerce, il est un mal bien connu, imputable tout autant aux acheteurs qu'aux vendeurs, celui de vouloir donner à un prix donné, un produit de la catégorie supérieure » pointait le vigneron provençal, notant que « ce genre de pratique a la particularité d'entraîner le système dans une spirale que le monde du vin connaît actuellement. Pour le prix d'un vin de base, je propose une bouteille d'appellation. L'effet pervers de cette méthode de vente est de scier la pyramide par le bas en abaissant le socle. La conséquence est simple, c'est toute la pyramide qui s'effondre. » Pour réorienter durablement la filière vin, pour lui (avec les majuscules d’origine, « IL FAUT, EN FAIT, ADAPTER LA DENOMINATION DE VENTE À LA STRATE DE PRIX et s'y tenir. C'est simple à dire mais difficile à faire surtout dans un système ancestral qui a du mal à se remettre en cause. Pourtant les faits sont là, tenaces. »
Et en période de crise, les solutions aggravent parfois la situation. Comme la baisse du rendement en appellation : « c'est une réaction très française ; quand certains sont malades, on donne le remède à tout le monde quitte à rendre malade les biens portants. On se rend compte que le remède n'a pas vraiment servi si ce n'est à pénaliser ceux qui faisaient le plein de rendement et qui vendaient bien » pointait Olivier Nasles. Qui proposait des solutions radicales, comme la « mise en place rapide, en blanc et rosé, d'un agrément à durée limitée : il faut faire prendre conscience aux vignerons que la DLUO d'un rosé est courte. Les agréments pourraient avoir une durée limitée de 18 mois pour les vins non conditionnés sachant, bien sûr, que l'agrément pourrait être renouvelé après dégustation pour 12 mois, si le vin est encore bon. » Notant à l’époque que la filière est en crise depuis 3 à 4 ans, Olivier Nasles regrettait le manque de stratégie collective, condamnant à tourner « en rond et pendant ce temps, la viticulture française crèvera ! »
« C’est facile de dire "on vous l’avait bien dit", mais quand même, avec Jacques Berthomeau, notre analyse n’était pas si mauvaise » analyse aujourd’hui Olivier Nasles. Qui, en juin 2006 sur Vitisphere, proposait également de « sortir du "TOUT AOC" pour réellement créer une segmentation produit sur des concepts différents avec une offre cohérente, fiable, compréhensible par tous et répondant à des attentes consommateurs à des prix concurrentiels. Bien sûr, il ne s'agit que d'un rêve, mais il ne tient qu'à nous qu'il se réalise et que nous prenions enfin le virage du XXI° siècle dans notre monde du vin. » 20 ans après, le vigneron défend l’importance de la marque, je dirai même la primauté de la marque sur l’AOP » alors que la filière se trouve « à l’intersection de deux mondes du vin, l’un en train de vieillir et mourir lentement, l’autre qui se développe sans code, débridé ! Ce nouveau monde est généralement plus attaché à la provenance qu’à l’AOP, à la marque qu’à l’AOP, particulièrement quand il vit loin de la France. »



