ertains n’ont plus que l’enchère sur les os… Un coup de sang inattendu et inhabituel vient de répondre aux derniers très bas prix atteints aux enchères judiciaires : 23 €/hl en moyenne… Une farce à l’épilogue amer, avec une visite inamicale dans les chais vidant les cuves de ces vins achetés en liquidation par des opérateurs inconnus. Les vins n’ayant plus de repères de valeur, des vignerons isolés et à bout dégoupillent. Beaucoup ne cautionnent pas à Bordeaux, mais tous comprennent et s’attendent à pire pour l’avenir. Comme ailleurs en France, l’état du vignoble girondin est inquiétant après cette petite récolte 2025 : entre vignes abandonnées et moral au fond des cuves, la filière bordelaise semble au bout du rouleau, compresseur et dépressif.
Mais il faut se méfier du Bordeaux qui dort. L’ampleur de la crise viticole qui dure depuis 2018 se traduit par une perte de potentiel de production aussi rapide que massive : 18 000 hectares de vignes ont été arrachés de 2023 à 2025. Soit l’équivalent du vignoble d’Alsace… avec la Loraine en prime. Ce qui se voit dans les paysages de Gironde, mais ne semble pas perçu en dehors. Alors qu’il y aurait encore 5 500 ha à arracher d’après le sondage de la Chambre d’Agriculture mené cet été et qu’il y aurait 2 500 à 3 000 ha en friche, le vignoble bordelais pourrait perdre plus de 25 000 ha au total. Une surface se trouvant entre le Beaujolais et la Bourgogne, voire la Provence… Le plus grand département viticole est au plus grand désespoir.
Ses instances ne manquent pourtant pas de propositions, de l’idée de préemption des vins aux enchères par les Jeunes Agriculteurs, devant être conceptualisée précisément, au projet d’Établissement Foncier Public de la Confédération Paysanne, devant être financé, en passant par l’impatience pour des mécanismes de prix rémunérateurs, que ce soit par l’évolution de la loi Egalim travaillée par FNSEA/CNIV ou des outils européens d’orientation des prix tels le 172 ter suivi par la CNAOC ou le 210 bis développé par la coopération. Les services de l’État affichent leur soutien et relaient les demandes et projets vignerons à Paris, mais l’urgence ne semble pas bien perçue, alors que le flegme bordelais se craquelle, laissant paraître sous la couche de feutré des nerfs à vifs. « Le désespoir tient lieu de force et de courage,
Et fait d'un peuple faible un peuple d'ennemis,
D'autant plus dangereux qu'ils étaient plus soumis » prévient Voltaire dans l’Orphelin de la Chine (1755).