oup de tonnerre ce 15 juillet. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a rendu ses décisions au sujet d’une série de fongicides cupriques dont les fabricants demandaient le renouvellement de l’autorisation de mise en marché. Sur 22 spécialités autorisées jusqu’alors en vigne, l’agence en a supprimé 20. Toutes les poudres passent à la trappe, mais aussi des produits comme Kocide 2000 (granulés dispersibles) ou Kocide Flow (suspension concentrée). Motif le plus fréquemment invoqué par l’agence : « Les données disponibles ne permettent pas d’exclure un risque d’effet nocif pour les travailleurs. » Et de rappeler « qu’il est à la charge du metteur en marché de démontrer l’absence de risque inacceptable lié à l’utilisation du produit ». « Les cuivres les plus économiques ne sont pas renouvelés. Or, vu le contexte, de plus en plus de viticulteurs revenaient vers les poudres », regrette une firme.
Plus inquiétant encore, les deux spécialités – Champ Flo Ampli et Héliocuivre – qui ont survécu à ce jeu de massacre se voient frappées d’une série de nouvelles restrictions d’utilisation : dose d’emploi limitée à 4 kg/ha/an – ce qui exclut le lissage –, un intervalle minimum de 7 jours entre deux traitements, une DSPPR de 10 m interdisant l’emploi de ces produits à moins de 10 m des habitations, y compris avec des pulvés réduisant la dérive, une ZNT eau de 20 m pour Champ Flo Ampli et de 50 m pour Héliocuivre et, pour couronner le tout, une interdiction d’emploi en période de floraison.
Ces décisions stupéfient techniciens et vignerons. « L’Anses a certainement des données pertinentes qui [les] justifient. Ce qui nous étonne, c’est qu’elle met en avant le risque pour les travailleurs alors qu’historiquement les restrictions étaient liées au risque pour l’environnement », observe Nicolas Constant, référent bio à l’IFV.
Julien Franclet, le président de SudVinBio, s’agace : « On savait que le cuivre était sur la sellette. Mais quand l’Anses a sorti son rapport sur le coût de son interdiction, on s’est dit qu’elle allait temporiser le temps de trouver des alternatives viables. Or, ce n’est pas le cas. Si ces règles sont amenées à se généraliser, des bios vont repasser en conventionnel et des conventionnels utiliseront encore plus de produits de synthèse. »
François Garcia, élu et référent bio à la chambre d’agriculture de l’Hérault, ne cache pas son énervement : « Le cuivre est indispensable en bio. On nous plombe. Depuis le 15 juillet, on se demande si on va pouvoir continuer. Et encore, nous sommes dans le Midi ! Ces restrictions auront des conséquences plus graves pour nos confrères de Gironde, de Cognac ou de Champagne. »
Installé à Quarante, dans l’Hérault, François Garcia cultive 34 ha de vignes en bio depuis 2010. Il dénonce la restriction à 3 applications par an pour Champ Flo contre 12 auparavant : « En bio, on est amené à traiter souvent avec des petites doses. Limiter le nombre d’applications est aberrant. » Autre disposition qu’il dénonce : les ZNT eau de 20 et 50 m. « On n’est pas dans les grandes plaines céréalières. J’ai des parcelles qui font entre 50 et 60 ares. Avec une ZNT à 20 ou 50 m qui s’applique dès qu’il y a le moindre fossé, je ne pourrai plus les cultiver », déplore-t-il.
Pour sa part, Julien Franclet, qui est vigneron dans le Gers, pointe l’intervalle minimum de 7 jours entre deux traitements : « C’est problématique sous notre climat océanique car, dès 20 mm de pluie ou 20 cm de pousse, il faut renouveler le traitement. En mai cette année, j’ai dû intervenir deux fois durant la même semaine, le lundi et le vendredi. Si cette règle se généralise, cela nous mettra dans une impasse technique. »
Le vigneron accueille tout aussi mal la perspective de la fin du lissage. « Le lissage nous permet de répondre aux pressions extraordinaires. J’applique généralement entre 3,2 et 3,5 kg/ha/an de cuivre. Mais, en 2023, j’ai dû en mettre 4,25 kg/ha », poursuit-il.
Tous les vignerons bio sont concernés par ces restrictions. L’Itab (Institut technique de l’agriculture et de l’alimentation biologiques) mène chaque année une enquête auprès des viticulteurs sur leur consommation de cuivre. Selon cette dernière, les viticulteurs bio ont appliqué 3,72 kg/ha de cuivre en moyenne en France en 2024. Mais cette moyenne grimpe à 4,8 kg/ha en Nouvelle-Aquitaine, région où les bios ont utilisé le plus de cuivre l’an dernier, à 4,55 kg/ha en Champagne et à 4,3 kg/ha en Bourgogne.
« Beaucoup de viticulteurs ont appliqué plus de 4 kg/ha l’an dernier, souligne Paul-Armel Salaün, chargé de mission viticulture chez Agrobio Gironde et référent viticulture à l’Itab. Cela a déjà été le cas par le passé. En 2021, 2023 et 2024 on a au moins une moyenne régionale proche des 4 kg/ha ou qui la dépasse. L’interdiction du lissage, les ZNT eau associées à des DVP (dispositif végétalisé permanent) et les DSPPR de 10 m sont trois contraintes majeures. En Gironde, le territoire est mité par les cours d’eau et les habitations. Si ces règles se généralisent, des surfaces de vigne importantes ne pourront plus être traitées au cuivre. »
Pour la campagne 2026, pas de stress. Les vignerons disposeront encore de nombreux produits cupriques – 17 selon les calculs de l’IFV – utilisables dans des conditions inchangées. Mais après ? L’Anses appliquera-t-elle ses nouvelles règles à tous les cuivres qu’elle réhomologuera. « Les mesures de gestion sont dépendantes de l’évaluation scientifique de chaque dossier et donc des éléments soumis dans le dossier de chaque produit. Nous ne pouvons anticiper les résultats des évaluations scientifiques des futurs dossiers de demande d’autorisation ou de renouvellement de l’autorisation », répond l’agence qui botte en touche.
La question reste donc posée. Selon l’IFV, il reste 17 produits cupriques à réhomologuer. Et c’est bien ce qui inquiète toute la profession car si l'Anses leur applique les mêmes règles qu'aux fongicides qu'elle vient d'examiner, les vignerons ont du souci à se faire.
Héliocuivre et Champ Flo Ampli sont deux produits très utilisés par les vignerons. Selon son fabricant Action Pin, Héliocuivre est « leader du marché ». Et d’après Nufarm, l’an dernier un tiers des hectares de vignes en bio a reçu du Champ Flo et ce, à six reprises en moyenne. La limitation du nombre de traitements à trois Champ Flo par an est donc un coup dur pour la firme qui espère faire évoluer cette restriction en apportant de nouveaux éléments à l’Anses.