’été bat son plein, mais certains regards sont déjà tournés vers le mois de novembre. Au Japon, premier débouché à l’export des Beaujolais Nouveaux, les opérateurs dévoilent leur stratégie pour la prochaine campagne de lancement du plus emblématique des vins primeurs français. Début juillet, c’est Masamitsu Otsuka, président de Mercian, qui a annoncé son retrait du marché dans le média financier Nikkei. Motif invoqué : le besoin de « revoir sa stratégie produits » face à une « diversification croissante des tendances de consommation du vin ». Troquant le Beaujolais Nouveau contre la production locale, Mercian va commercialiser trois vins nouveaux japonais, un vin rouge, un blanc et un effervescent. Une réorientation qui traduit, non pas forcément une montée en puissance soudaine des vins japonais, mais plutôt une conjonction de facteurs économiques, conjoncturels et structurels.
Un modèle économique sous pression« Pendant de nombreuses années, le vin a été un produit extrêmement rentable pour tous les importateurs japonais », rappelle Adrien Dubœuf-Lacombe, directeur général délégué des Vins Georges Dubœuf. « Au moment où le marché s’est véritablement ouvert vers la fin des années 90, les Japonais avaient très peu de points de repère en termes de tarif et les opérateurs faisaient donc des marges très confortables ». La mondialisation d’informations sur les prix pratiqués ailleurs a conduit progressivement à un univers de plus en plus concurrentiel, « faisant baisser les prix et donc les marges ». A cela s’ajoute la faiblesse du yen, qui a créé un contexte très défavorable aux importateurs japonais : « Par rapport à il y a une dizaine d’années, ils paient 70 % de plus », souligne l’ancien résident du Japon. Un surcoût accentué par la flambée des frais d’importation. « En termes de logistique, c’est de plus en plus compliqué », note encore Adrien Dubœuf-Lacombe. « La fermeture du Canal du Suez oblige à passer par l’Afrique du Sud, rallongeant énormément le transport et coûtant cher. Puis, le Beaujolais Nouveau ayant la spécificité d’être expédié en avion, le fait que l’on ne peut plus passer au-dessus de la Russie entraîne les mêmes effets ».
Un désengagement progressif, avec une grande exceptionFace à la baisse de rentabilité, de nombreux importateurs se recentrent sur leur portefeuille de base. « Ce ne sont pas seulement les gros opérateurs ou le Beaujolais Nouveau qui sont concernés. Beaucoup de petits importateurs ont tout simplement fermé boutique tandis que certains grands groupes ont arrêté purement et simplement leur division vin pour se reconcentrer sur la bière, l’eau dont ce sont de gros faiseurs et sur le whisky japonais qui est en boom. Tous ces produits génèrent beaucoup plus de cash que l’univers du vin et puis surtout, c’est leur cœur de métier. Le vin n’est qu’un service complémentaire ». Dans ce contexte difficile, la maison Georges Dubœuf fait figure d’exception. Ses liens « de famille à famille » avec son importateur Suntory et l’attache particulière de cette maison japonaise avec le vin explique en partie les résultats que la maison française continue d’engranger au Japon. « Il y a deux ans, nous avons enregistré plus 35 % de chiffre d’affaires avec Suntory, et l’an dernier plus 17 %. Cette année, les premières prévisions – souvent un peu plus basses que la réalité – montrent une évolution de +10 % ». Mais le succès ne repose pas uniquement sur la solidité de ce partenariat : « On se donne la peine. On crée de nouvelles cuvées. Je me suis rendu au Japon en juin pour rencontrer tous nos clients. Il y a un vrai travail de fond qui est réalisé. Cela ne se fait pas par magie ».
Innover pour perdurerParmi les initiatives récentes de la maison Georges Dubœuf, le lancement en 2024 de jeroboams de Beaujolais Nouveau a marqué les esprits. Un format audacieux sur un marché où la consommation par habitant ne dépasse pas 3 litres par an. « On en avait produit moins de 500 et ils ont très bien fonctionné », se félicite l’opérateur du Beaujolais. Face au succès, l’opération sera renouvelée cette année mais à plus petite échelle « parce que ce n’est pas le cœur de la communication qu’on souhaite mettre en avant ». En 2025, la rupture se traduira par une étiquette conçue spécifiquement pour le marché japonais, signée par un designer local, le but étant de rompre avec les codes en place depuis une décennie. « On a constamment des nouveautés à proposer qui permettent de soutenir ce dynamisme annuel et de faire perdurer l’opération des Beaujolais Nouveaux au Japon », souligne le directeur général délégué. La stratégie porte ses fruits : la maison détient près de 25% de parts de marché sur ce segment dans l’archipel.


Loin d’être fataliste face à la régression constante de la catégorie dans son ensemble au Japon, Adrien Dubœuf-Lacombe se montre au contraire optimiste : « La culture japonaise est plutôt celle du zapping, avec des effets de mode. Il y a eu le cognac, puis le whisky et les RTD. Le Beaujolais, lui, n’est pas une mode. Le premier boom date de la fin des années 90 et l’engouement persiste. Même si les volumes baissent de manière globale, ce qui nous attriste, ce n’est pas notre cas et on se dit qu’au moins il y restera le Beaujolais Nouveau Georges Dubœuf ».