es bulles sont tendance, y compris dans les jus de raisin. Joffrey et Justine Desgrousilliers, frère et sœur propriétaires des 32 ha du Moulin de l’Horizon au Puy-Notre-Dame, dans le Maine-et-Loire, arrêtent cette année de produire leur habituel jus de raisin rouge. « On en vendait environ 2 000 bouteilles, mais on restructure notre gamme. C’est un produit trop sucré et pas assez festif que l’on trouve partout. On le conditionnait en bouteilles de 1 litre, ce qui nécessite des cartons différents et de modifier les réglages de l’étiqueteuse », précise-t-il.
Désormais, Joffrey Desgrousilliers produit 30 hl par an de Jujotte, un jus de chenin pétillant. « L’idée, c’est de proposer une alternative sans alcool à nos clients locaux, aux traiteurs et aux organisateurs d’événements, explique-t-il. Ça permet de ne pas stigmatiser les gens qui ne boivent pas d’alcool car, dans les coupes, on ne voit pas la différence entre nos effervescents et notre jus de raisin pétillant. »
Pour élaborer Jujotte, le vigneron récolte ses raisins autour de 150 g/l de sucres. « Il faut que ce soit rafraîchissant, que l’on n’ait pas besoin de boire un verre d’eau ensuite », observe-t-il. Pour son premier pressurage de l’année, le vigneron sépare les jus de goutte des jus de presse après le premier rebêchage. « Je me rapproche des programmes de pressurage de mes crémants. On presse doucement et on prend le temps afin de ne pas obtenir des jus trop amers ou avec des goûts végétaux. »
Puis, le vigneron détermine la fin du pressurage à la dégustation des presses. « Cela ne sert à rien d’aller chercher les 10 % de jus restants. Certaines baies sont encore vertes. Il ne faut pas les assécher entièrement », indique-t-il. « Puis, selon les années, on réajuste l’assemblage final avec les presses, plus acides mais aussi plus amères, pour apporter de la fraîcheur. »
En sortie de pressoir, Joffrey Desgrousilliers refroidit rapidement le jus et le clarifie avec un collage à la bentonite. Puis il le filtre au tangentiel avant de le stoker à nouveau au froid. Et pas besoin de sulfiter : « Le chenin est peu oxydatif. Il donne un jus très clair. Et je procède à tous les transferts sous azote. »
24 heures après la filtration, c’est Sylvain et Stéphanie Olry, ses prestataires, qui prennent le relais. Les dirigeants des Vergers du Tilleul à Saint-Maurice-Étusson, dans les Deux-Sèvres, se chargent de la gazéification, de la mise en bouteilles et de la pasteurisation. « Pour le transport, le client choisit : soit il nous apporte son jus, soit il fait appel à une société. Dans tous les cas, les jus doivent être transportés à froid. On a déjà reçu des lots qui partaient en fermentation qu’on a dû refuser », explique Sylvain Olry.
À la réception, ce prestataire stocke le jus en chambre froide puis vérifie sa stabilité protéique avant de le gazéifier avec un saturateur. « Jujotte est dosé à 6 g/l de CO2. Le client peut choisir le taux tant que la pression ne dépasse pas 3 bars car, au-delà, les bouteilles ne résistent pas à la pression lors de la pasteurisation », précise Sylvain Olry.
Aussitôt après le tirage, les bouteilles passent dans un tunnel de pasteurisation. « On ne dénature pas le produit. On monte progressivement à 77 °C grâce à un cycle de 1 h 15 de douchage à l’eau chaude et à l’eau froide. » Reste à marquer le numéro de lot et la date de durabilité minimale. « On peut aussi étiqueter et mettre en carton si besoin », précise le prestataire.
Pour la gazéification, la mise et la pasteurisation, comptez 1,50 € HT par bouteille pour un tirage de 1 000 litres, le minimum requis par Sylvain Olry. « C’est un produit en plein développement », assure-t-il. Et ce n’est pas Joffrey Desgrousilliers qui le contredira. Depuis que ce dernier a revu le packaging de Jujotte en 2023 – aujourd’hui très coloré et inspiré des boissons sans alcool – il a augmenté ses ventes. « On s’est placé en épicerie fine alors que nous ne sommes pas en bio et dans des restaurants qui n’achètent pas nos vins », se réjouit-il.
Même son de cloche chez Denis Meunier, propriétaire des 16,5 ha à Vernou-sur-Brenne, en Indre-et-Loire. Lui non plus ne produit pas de jus de raisin tranquille. « Je n’ai pas de demandes », affirme-t-il. En revanche, chaque année, il vend 2 000 bouteilles de 75 cl de jus de raisin rosé pétillant.
L’affaire commence en 2015. Après deux ans à ramasser ses jeunes vignes de grolleau noir trop mûrs – à 11 ou 11,5 % de degré potentiel –, il les vendange autour de 150 g/l de sucres, soit 9 degrés alcooliques potentiels. « C’est ni trop vif, ni trop sucré, avec un pH aux alentours de 3. Avec le grolleau, l’acidité n’est pas mordante. On obtient un jus rosé assez rond et fin, avec des arômes assez subtils », précise-t-il. Autre avantage : « C’est un cépage qui se vendange sans difficulté à la machine même en sous maturité. »
Pour le pressurage, le vigneron augmente un peu la pression. « Les pellicules sont un peu plus épaisses, justifie-t-il. Je mets un peu de sulfites dans la maie pendant le pressurage et plus rien par la suite. Puis je débourbe au froid à 4 °C pendant 24 heures avec des enzymes. Enfin, je filtre et réintègre les bourbes – entre 50l et 100l – dans mes moûts d’effervescents rosés. »
Lui aussi colle à la bentonite, « en dosant toujours un peu plus fort que sur du vin, entre 100 et 120 g/hl, précise-t-il. Cela nous prend une journée, mais si vous voulez un jus de raisin limpide, vous n’avez pas le choix : il faut retirer les protéines. Ensuite, je filtre avec mon filtre-presse. Je tiens les jus bien au froid le temps que le prestataire vienne les chercher pour la gazéification, la mise et la pasteurisation ». En retour, il reçoit un jus gazéifié qu’il vend 4,50 € TTC la bouteille de 75 cl. « C’est un produit bien valorisé. » Et, pour Joffrey Desgroussilliers, plus éthique : « On s’est posé la question de la désalcoolisation : d’un point de vue environnemental, c’est plus acceptable de produire un pétillant de raisin. »
C’est une diversification réussie qu’a entreprise Frédéric Bourgoin, propriétaire du domaine Bourgoin Cognac à Saint-Saturnin. Depuis 2018, après avoir récolté des vignes grêlées peu avant leur maturité, il produit un verjus que les bars à cocktails s’arrachent partout en France. « Je vends 50 000 bouteilles de 75 cl par an. Ça augmente chaque année. Il m’arrive même de déclasser des surfaces affectées au Cognac pour les dédier à cette production », raconte-t-il. Frédéric Bourgoin récolte de l’ugni blanc entre 100 et 110 g/l de sucres et 2,5 de pH. Après des vendanges manuelles, il presse, débourbe et clarifie les jus par flottation avant de les pomper dans son alambic. « Je les chauffe à 65 °C pendant 45 minutes puis je les stocke dans des cuves IBC de 10 hl pendant tout l’hiver et je fais des mises petit à petit », explique-t-il. Et le vigneron ne manque pas d’idées : « On fait aussi de l’huile de pépins de raisin, du sirop de sucre de raisin et du vinaigre balsamique blanc. »