omme Pascal Pélissou, de nombreux vignerons ont perdu une part importante de leur production en bio à cause du mildiou ces dernières années. Jusqu’en 2024, ce coopérateur cultivait 25 de ses 65 ha en bio, à Brens dans le Tarn. Mais en fin de campagne, il arrête. « On a pris le gel, la grêle et le printemps a été très pluvieux. On a eu du mildiou comme en 2023. Alors que j’ai récolté 50 hl/ha en conventionnel, je n'ai obtenu que 12 hl/ha en bio malgré 15 traitements », expose ce producteur de Comté Tolosan, de Côtes-du-Tarn et de Gaillac.
En Gironde, un vigneron labellisé bio en 2012, n’a pas attendu aussi longtemps pour changer de stratégie. En avril 2024, alors qu'il constate que la saison démarre comme en 2023, année où il n’a rentré que 15 hl/ha à cause du mildiou, il arrête le bio. « L'unique raison est l'impasse technique. Les produits dont nous disposons en bio ne sont pas suffisants pour protéger notre culture. Le bio est plus vertueux, mais financièrement, ce n'était pas viable d'avoir deux mauvaises années consécutives. Sachant que déjà en 2021, je n'avais déjà fait que 25 hl/ha », précise-t-il, employant cinq équivalents temps plein.
Dans le Gard, Jean-François Chabert, n'avait plus d’autre le choix, lui non plus. « C'est une question de survie de l'exploitation », souligne le président des Vignerons des 4 chemins qui vient d’arrêter le bio après avoir tiré le bilan très négatif des dernières saisons. « Les rendements sur les deux dernières années sont insuffisants et les prix de vente ne compensent pas », explique ce vigneron qui a commencé en 2019 à convertir ses 60 hectares à Bagnols-sur-Cèze.
« En 2023, j'ai produit 30 hl/ha en AOC Côtes-du-Rhône et 20 hl/ha en IGP Pays d'Oc, à cause du mildiou et du black-rot, pour un potentiel de 50 hl/ha en AOC et 90 hl/ha en IGP. J’ai perdu 50% de mon chiffre d’affaires. En 2024, j'ai produit 37 hl/ha en AOC, et 20 hl/ha en IGP, toujours en raison du mildiou », détaille-t-il.
Jean-François Chabert ne se verse plus de salaire depuis deux ans mais il paie toujours ses deux salariés et les saisonniers qu’il emploie pour la taille, l'ébourgeonnage et une partie des vendanges. Suite à sa déconversion, il a demandé une dérogation pour ne pas avoir à payer les pénalités liées au fait que 32 ha de ses 60 ha étaient encore en conversion.
La pression économique a également joué un rôle dans le choix de Pascal Pélissou. Depuis 2021, son vignoble produit bien moins que ses 80 hl/ha de potentiel, tantôt à cause des aléas climatiques, tantôt à cause du mildiou. Résultat : « Après la dernière récolte, j'ai fini de manger nos économies. Je ne veux pas continuer ainsi », indique le vigneron à la tête d'une entreprise familiale qui doit assurer des revenus pour trois personnes à temps plein et qui confie retourner à une agriculture lui correspondant davantage.
« Je suis un vigneron technicien, explique-t-il. Quand j'ai récupéré ces 25 ha de vignes en 2013 elles étaient déjà bio. J'ai continué car j’y ai vu l’opportunité d'apprendre un autre mode de conduite. Finalement, je reviens à une méthode qui est plus la mienne. J'ai aussi l'impression qu'il n'y aura pas d'évolution sur les pratiques en bio, car depuis plus dix ans que j’y suis, le cahier des charges a peu changé. »
Pour sa part Hubert de Morogues, a coupé la poire en deux. Mi-avril cette année, constatant une météo très pluvieuse, il repasse en conventionnel 5 des 20 ha qu'il cultive en bio. « J'ai arrêté le bio sur les 5 ha que je destine à la coopérative de Quissac. Cela devrait m’assurer un revenu de ce côté-là », explique-t-il.
Hubert de Morogues exploite deux propriétés : Château de Roux dans le Gard labellisé en 2021 (AOP Duché d'Uzès et IGP Cévennes) et le Clos de Londres dans l'Hérault labellisé en 2022 (IGP Saint-Guilhem-le-Désert). En ce début de campagne, il redoutait une année aussi difficile que 2024. « L’an dernier, j’ai produit 30 hl/ha en moyenne contre 60 hl/ha avant le passage au bio en 2021, alors que j’ai traité à 10 reprises », insiste-t-il. Hubert de Morogues reste en bio pour les raisins qu'il vinifie en chai particulier. « J'ai gagné des marchés en bouteilles car je suis en bio, si j'arrête je les perds. Et comme je valorise mieux le bio en bouteilles, je m'y retrouve malgré les pertes de récolte. »
En Gironde, le vigneron précité vend toute sa production en bouteilles espère que ses clients vont le suivre. Son saint-émilion 2024 ne sera en vente qu'en avril 2026 et il a encore du côtes-de-castillon bio en stock. Il se donne encore un peu de temps pour expliquer sa décision à ses acheteurs.
En 2024, le vignoble bio perd 6700 ha pour totaliser 164500 ha certifiés ou en conversion. Ce recul de 4% est le premier après 25 ans de croissance. Ce repli provient de la chute vertigineuse des surfaces en conversion qui passent de 39500 ha en 2023 à 22700 ha en 2024. Il s’agit d’une baisse d’autant plus notable que « le secteur de la vigne était le seul ayant dépassé les objectifs nationaux de 21 % de surfaces en bio, pointe Laure Verdeau, la directrice de l’Agence Bio. Les surfaces en conversion reculent dans tous les départements, à commencer par la Gironde, le premier département bio en nombre d’hectares, où il ne reste que 4900 ha en conversion en 2024, soit 60 % de moins en un an. Pour l’Agence bio, le manque de débouchés, la pression sanitaire et la hausse des coûts de production expliquent ce recul.