’est un article qui a ému autant qu’il a interpellé dans la filière vin et au-delà : le témoignage de Marguerite (le prénom a été changé), une vigneronne du Jura victime de violences conjugales se retrouvant coincée dans le Groupement Agricole d'Exploitation en Commun (GAEC) qu’elle a créé dans les années 2010 à 50/50 avec son ex-conjoint (qu’elle a quitté en 2022). Ne pouvant se dégager de ce GAEC faute de dissolution validée par les deux associés, elle est également empêchée de trouver un emploi à plein temps comme le GAEC oblige les associés à un travail exclusif et permanent (article 323-7 du Code Rural). Ayant témoigné lors du premier salon de l’association féministe Paye Ton Pinard, Marguerite rapporte avoir reçu « énormément d’encouragement, d’écoute et beaucoup de sidération. On me demande si c’est vrai. Si j’en parle, c’est parce que c’est possible. Ce n’est pas du blabla, cette situation est totalement grotesque. »
Ce que confirme la préfecture du Jura. Sollicités par Vitisphere, les services départementaux de l’État confirment que « la législation actuelle ne prévoit pas de dispositions particulières concernant la dissolution d'un GAEC dans un contexte de violences intrafamiliales ». Mais la préfecture peut faire bouger le statu quo grâce à l’article 323-21 du Code Rural, qui ouvre la possibilité d'un retrait d’agrément du GAEC en l'« absence de décision collective des associés sur l'accord à titre temporaire des dispenses de travail ou lorsque les associés du groupement ne participent plus effectivement au travail en commun » indique l’administration. Portée par le préfet, la décision de « retrait d'agrément a des conséquences au niveau social (l’Activité Minimum d'Assujettissement est déterminée en tenant compte du nombre d'associés) et fiscal (les plafonds du crédit d'impôt en faveur de l'agriculture biologique ou pour les dépenses de remplacement temporaire de l'exploitant agricole sont multipliés par le nombre d'associés), ainsi que sur les aides d’État (le plafond d’aide de minimis de 50 000 € sur trois exercices est porté sur la base du nombre d’associés présent dans le GAEC) ».
Au terme de la procédure prévue, l’agrément fiscal du GAEC a été retiré par la préfecture du Jura, ce qui a permis à Marguerite d’accéder à un tiers de temps (536 heures maximales annuelles). « Je ne peux qu’être satisfaite par l’intervention de la préfecture qui a été essentielle. Cela m’a permis de pouvoir retravailler, mais seulement un tiers temps » indique Marguerite, « sans Stéphanie Deblaere, la déléguée départementale aux droits des Femmes et à l'Égalité, je ne travaillerai pas du tout. Il faut avoir la bonne interlocutrice pour avancer, sinon on reste à attendre. »
Indiquant être « conscient de la particularité de ce type de situation », la Direction Départementale du Territoire du Jura (DDT 39) indique avoir travaillé avec la Déléguée Départementale aux Droits des Femmes au lancement d’« un groupe de réflexion avec des opérateurs du monde agricole pour réfléchir à un outil d'accompagnement à la dissolution d'un GAEC ». Une révision réglementaire pouvant relâcher l’étau de ces situations ubuesques. « En outre, à la demande du préfet [NDLA : Pierre-Édouard Collieix], une vigilance est portée sur ce type de dossiers, notamment en termes de délais de traitement » poursuit la préfecture de Lons-le-Saunier, pointant que « la cellule mal-être agricole peut également être une ressource sur des aspects juridiques, financiers ou humains. »
Mais « ces procédures sont longues et coûteuses pour faire valoir ses droits et son travail » témoigne Marguerite, partageant son impression que « beaucoup de paysannes renoncent [à se battre et faire valoir leurs droits] et préfèrent tout claquer et partir ». Fin mai, Marguerite doit voir prononcer son divorce et se tenir l’audience sur la dissolution du GAEC.



