on témoignage début février sur Vitisphere a suscité de nombreuses réactions. Il faut dire qu’il portait sur un sujet vital : la qualité de la taille et son incidence sur les rendements. L’an dernier, Alain Bourgoin, à la tête des Cognacs Bourgoin avec son fils Frédéric, a eu l’idée de peser la récolte de quelques rangs de vigne, les uns taillés depuis longtemps par ses salariés permanents, les autres par des « itinérants », comme il les appelle, adressés par des prestataires. Résultat : une différence de 30 % entre le rang le plus fourni qu’un de ses permanents avait taillé et le plus clairsemé, taillé par un saisonnier dont le vigneron ne se souvient plus du nom.
« Ça a été une grande surprise pour moi », avoue-t-il. En réalité, la différence lui paraît telle qu’il se demande s’il n’y a pas eu une erreur dans la pesée. Il prévoit donc de peser la récolte de cette année pour en avoir le cœur net. Quoi qu’il en soit, il ne fait aucun doute pour lui que la taille peut avoir un impact sur le rendement et qu’il y a un monde entre les tailleurs soigneux et ceux qu’il nomme « les élagueurs ».
Alain et Frédéric Bourgoin sont à la tête de 106 ha de vigne à Saint-Saturnin, en Charente. « On s’est agrandi quand le cognac allait bien, explique Alain. Mais on a du mal à recruter des tailleurs. » Il a donc fait peu à peu appel à des sociétés d’intérim ou à des prestataires qui lui adressent ces fameux itinérants.
« Ce sont des élagueurs plutôt que des tailleurs, répète-t-il. Ils veulent aller le plus vite possible. Ils taillent toujours à la même longueur alors que, nous, nous raisonnons en fonction du cep. Sur les belles lattes, on laisse 8 à 9 yeux. Sur les pieds qui ont souffert, au pire on ne laisse que deux coursons avec 2 à 4 yeux. » Faute de main-d’œuvre, « on les prend et on se dit : advienne que pourra. On ferme les yeux sur le travail ». Une situation qui devrait changer car des vignes s’arrachent à Cognac et les Bourgoin prévoient eux aussi de réduire leur surface.
C’est une tout autre histoire qui est arrivée à Jean-Pascal Pelagatti, à la tête du domaine Les Graviers, 24 ha à Béziers, dans l’Hérault. À l’été 2019, il est convoqué au commissariat de Béziers. Il doit s’expliquer sur le fait que les tailleurs que lui a envoyés un prestataire sont sans papiers et n’ont pas été déclarés. Le viticulteur tombe des nues. Il fournit les factures de la prestation de services, les numéros des chèques et ressort du commissariat, refroidi. Le prestataire, lui, est parti en prison. « J’aurais dû m’assurer que les ouvriers étaient en règle. Tout cela m’a ébranlé », confie-t-il.
C’est parce que le chantier confié à un prestataire prenait du retard, qu’en février 2019, il en appelle un autre à la rescousse. D’entrée, il lui demande les papiers des quatre tailleurs qu’il lui envoie. Les jours passent, le prestataire est aux abonnés absents. Le chantier se termine sans l’ombre d’un papier en vue.
Malgré tout, Jean-Pascal Pelagatti continue de déléguer la taille de son vignoble. Aujourd’hui, il fait appel à deux prestataires en qui il a confiance. Cela n’empêche pas les couacs : début février, l’un d’eux a envoyé quatre nouveaux tailleurs. Le premier jour tout se passe bien. À la fin du chantier, le vigneron retourne dans ses vignes pour constater que sur 2,5 ha taillés en cordon de Royat les tailleurs ont laissé tous les coursons alors qu’ils ne devaient en garder que six. « Ils vont trop vite », déplore-t-il. Ni une ni deux, il avertit le prestataire qu’il doit recommencer le chantier s’il veut être payé. Et de lâcher : « Il faut surveiller les prestataires comme le lait sur le feu sinon le travail s’en ressent. »
À Portets, en Gironde, Vincent Despujols, le directeur technique des domaines de la Mette, applique une règle : deux à trois fois par semaine, lorsque la vingtaine de tailleurs de son prestataire a quitté les vignes, il passe pour contrôler leur travail. « Je suis attentif aux astes et aux cots. Les astes doivent être sur du bois de deux ans afin de produire du raisin. Les cots peuvent être sur des bois d’un an. Un tailleur doit savoir cela. Il y a très peu d’anomalies », observe-t-il.
Avant d’entamer une parcelle, il réunit les tailleurs et explique qu’il faut adapter la taille à la vigueur du pied. « Ce n’est pas facile à comprendre. Alors je prends du temps avec eux », déclare-t-il. Un chef d’équipe du prestataire surveille le travail des tailleurs tout en les aidant si besoin. Depuis cinq ans, Vincent Despujols confie les 83 ha du domaine, soit 365 000 pieds, à un seul prestataire et se dit satisfait.
Même suivi rigoureux, désormais, de Nicolas Roux, chef de culture au château l’Escarelle, 105 ha, à La Celle, dans le Var. Jusqu’en 2021, il confiait la taille de tout son vignoble à plusieurs prestataires pour un bilan mitigé : « Ces tailleurs sont payés au pied ; il faut qu’ils aillent vite, et donc ils taillent moins bien. »
Il a alors revu son organisation. Depuis deux ans, il confie 25 ha du château à ses seuls salariés et le reste à un seul prestataire. Une facture de 45 000 €. Pour fidéliser ces travailleurs, des Marocains pour la plupart, toujours les mêmes, il a convenu avec le prestataire qu’ils seraient payés 19 centimes le pied, soit 2 centimes de plus qu’auparavant. En outre, il taille avec eux. Il prend ainsi le temps de leur expliquer qu’une taille abrupte dessèche le bois, qu’il faut respecter le flux de sève, limiter le nombre de plaies. Une fois par mois, les salariés du Château et ceux du prestataire se retrouvent pour un barbecue. Une façon de créer du lien. Reste le problème récurrent : « Si on laisse les gars seuls dans les vignes, le résultat n’est pas toujours au top. Il faut être avec eux de janvier à fin mars », souligne Nicolas Roux. De son côté, Alain Bourgoin se dit « qu’il vaut mieux payer plus cher quelqu’un qui fait du bon boulot » que d’économiser avec des tailleurs moins aguerris. Mais ça, c’est une autre histoire.