es cancers ne sont pas plus fréquents chez les agriculteurs que dans le reste de la population. Bien au contraire ! C’est ce qu’a rappelé Catherine Hill, épidémiologiste à l’Institut Gustave Roussy, le 22 janvier à l’Académie d’agriculture lors d’une séance consacrée à la santé des agriculteurs. Cette chercheuse a commencé par présenter une synthèse de huit études de cohorte sur le risque de cancer chez les agriculteurs et les salariés agricoles, parmi lesquelles l’étude Agrican en France et des enquêtes similaires aux États-Unis, en Norvège, en Australie, en Corée du Sud et au Danemark (1).
Dans sa présentation, Catherine Hill n’a détaillé que les résultats pour les hommes. Il ressort de toutes ces observations que les travailleurs agricoles ont 16 % de cancers en moins que l’ensemble de la population. Toutes sortes de cancers sont plus rares chez eux. Seule exception : le cancer de la prostate, en excès de 6 %. Mais, selon Catherine Hill, cela pourrait être l’effet du hasard.
« Ces résultats sont tout à fait rassurants alors qu’il y a une agitation autour du cancer du pancréas », a insisté Catherine Hill, faisant allusion au brouhaha autour d’une étude parue fin novembre dans l’European Journal of Epidemiology, largement relayée par les médias français et selon laquelle les personnes résidant près des champs auraient un risque accru de… 1,3 % d’attraper un cancer du pancréas. Une manière de souligner que les médias font beaucoup de bruit autour des études pointant les risques liés aux pesticides alors qu’ils taisent celles qui sont rassurantes.
Après cela, Catherine Hill a abordé une question « assez chaude » selon ses propres mots : celle du glyphosate. Cet herbicide est suspecté de causer des lymphomes non hodgkiniens, un type particulier de cancers chez ses utilisateurs. Qu’en est-il ? « C’est le bazar intégral », a reconnu la spécialiste, évoquant les études à ce sujet. À l’appui de ses dires, Catherine Hill a rapporté les conclusions de quatre méta-analyses (synthèses d’études indépendantes entre elles) dont une qui met en avant un risque augmenté de 40 % alors que les trois autres concluent à l’absence de risque. Peut-être « lié à la Tallowamine (un coformulant) », a supposé une intervenante lors des échanges avec la salle.
Toujours est-il que Catherine Hill a fait un tri dans ce bazar. Pour elle, « le plus fiable, c’est probablement la méta-analyse des enquêtes de cohorte. C’est le résultat le plus robuste et il ne montre pas d’excès de risque de lymphome non hodgkinien en lien avec une exposition au glyphosate ».
Pour finir, elle a précisé qu’en France les épidémiologistes n’ont mis en évidence un risque d’excès de cancers qu’avec le diazinon, le malathion et le lindane (2). Des pesticides interdits depuis des années.
Par la suite, dans une autre intervention, Gérard Bernadac, médecin du travail à la caisse centrale de la MSA a mis en parallèle les pesticides et la pollution de l’air. « Les pesticides restent une question vive, a-t-il déclaré. Et ce, bien que des scientifiques de renom montrent qu’il n’y a pas forcément péril en la demeure. Ce ne sont pas les 42 000 morts liés à la pollution des villes qui vont arriver avec les pesticides. » Une manière de rappeler que ces produits ont une incidence moindre que la pollution de l’air.
Et de poursuivre : « de même, la radioactivité des massifs granitiques ça n’inquiète personne alors que c’est la deuxième cause de cancer du poumon après le tabac. Et pour ceux qui aiment la grillade, il faut savoir que le feu de bois émet des molécules qui sont une cause de cancer du poumon ».
Quid des intoxications aiguës ? Gérard Bernadac a donné des éléments qui semblent là aussi rassurants. Depuis 1991, la MSA pilote Phyt’attitude, un réseau de toxicovigilance qui recense les intoxications de toutes sortes liées aux phytos. « Curieusement, depuis quatre ou cinq ans, on a de moins en moins de cas. Ce n’est pas l’assurance qu’il y a moins de problèmes car les signalements se font sur la base du volontariat des personnes concernées. Peut-être que certains ne veulent pas signaler leur incident de peur qu’on leur supprime les produits… » Mais, pour ce qui est des prestataires de services, particulièrement exposés « leur activité se développe mais on ne voit pas apparaître davantage d’intoxications pour autant ».
Reste que les produits phyto ne sont pas anodins. Les agriculteurs doivent s’en protéger. Ce qu’ils font en portant les équipements adéquats (même si ce n’est pas toujours simple et que des progrès restent à faire). Autres manières de réduire les risques : traiter avec un matériel plus fiable (sous réserve que l’agriculteur ait les moyens d’investir, mais beaucoup ne le peuvent pas) et utiliser des produits moins dangereux. Sur ce point, de larges progrès ont été réalisés. « Les matières actives classées CMR sont passées de 29 % des quantités vendues en 2009 à 11 % en 2021 », a rappelé Pierre de Lepinau, de l’Académie d’agriculture. En parallèle, les ventes de produits bio et de biocontrôle ont augmenté. Une évolution qui ne réjouit pas totalement Gérard Bernadac. « Les agriculteurs se retrouvent avec des spécialités plus visqueuses et qui se diluent moins bien dans l’eau que les produits de synthèse », a-t-il déploré. Difficile de gagner sur tous les tableaux.
Chez les femmes travaillant dans l’agriculture, le risque de contracter un cancer, toutes causes confondues, est réduit de 23 % par rapport à la population générale, selon la méta-analyse relatée par Catherine Hill. En revanche, elles ont 18 % de risque en plus de contracter un mélanome de la peau et 27 % de plus de risques de cancer de la moelle osseuse. Les auteurs de l’étude avancent que le surcroît de mélanomes serait dû à l’exposition au soleil, mais n’expliquent pas vraiment l’excès de cancer de la moelle osseuse.