l’origine, il n’y avait pas le vin. L'entreprise à mission Citeo a présenté fin août à la presse les premiers contours de la phase de lancement du réemploi dans 1 000 magasins du quart Nord-Ouest, dans le cadre de la démarche ReUSe, à partir de mai 2025. Mais dans ces présentations, la bouteille de vin était largement et systématiquement oubliée des exemples de contenants "à rapporter" contre 20 ou 30 centimes. Bière, jus de fruit, compotes et autres confitures étaient cités, mais de vin, point, alors même que le secteur représente une part non négligeable du gisement de bouteilles en verre, et un élément structurant pour la filière réemploi en pleine reconstruction. « Le vin, c’est le grand oublié de ReUse, ou en tout cas, ce n’est pas la priorité », glisse une connaisseuse du dossier.
Chez Citeo, on ne nie pas… mais on explique. Le projet ReUse vise à faire passer le cap "industriel" au réemploi, de quelques centaines de milliers de contenants réemployés à plusieurs millions. Ce scénario est basé sur des contenants standards et la vente en grande distribution.
« Les supermarchés veulent des systèmes sans manutention, explique Sophie Nguyen, la directrice développement du réemploi chez Citeo. Ils sont tombés d’accord sur des bornes de consigne automatisées. Les bornes existantes peuvent gérer un certain nombre de contenants. Entre ça et les estimations que nous avons faites, nous avons calculé qu’il y aurait 40 références consignables » Comment seront-elles choisies dans la foule de packagings ? « C’est un concours, basé sur le volume, et les R-Cœur sont prioritaires. »
R-Cœur ? C’est le nom du logo signalant au consommateur qu’un contenant en verre est lavable et donc réemployable en toute sécurité. C’est aussi un pictogramme embossé (en relief) dans le verre, de façon bien visible. Or, la filière vin est « la seule à l’avoir refusée » (lire l’encadré).
D’emblée, la filière viticole, et son goût prononcé pour la bouteille personnalisée, s’est donc exclue du projet. « Et n’oublions pas, glisse la responsable Citeo, que le vin a complètement disparu des objectifs européens de réemploi, grâce à son lobbying actif. On doit composer avec ce contexte où les gens se sentent concernés, mais pas vraiment contraints. » Pas vraiment le partenaire idéal, donc.
En coulisses, on nous explique aussi que Citeo a plus l’habitude de négocier avec des grandes marques multiproduits, que de naviguer avec le mille-feuilles viticole. Le fait est que, pour le réemploi, le monde du vin part en ordre très très dispersé.
Avec tous ces handicaps, l’affaire était donc mal engagée. Mais « de nombreux acteurs et metteurs en marché du vin ont fait remonter des demandes de référencement », évoque Sophie Nguyen. Tant et si bien que fin septembre, Citeo a finalement entrouvert la porte, en intégrant dans son appel à manifestation d’intérêt (AMI) quinze références "iconiques" (produites en volumes suffisants pour incarner un standard à elles seules) et donc, en théorie, à des bouteilles de vin… à condition d’en avoir un volume suffisant.
Pour la filière viti, cette option crée « une opportunité : se mettre à plusieurs avec une seule et même bouteille », imagine Célia Rennesson, du réseau Vrac et Réemploi. Mais pour cela, il fallait être capable de s’organiser en quelques semaines, car cet appel à manifestation d’intérêt se clôturait… le 4 novembre.
Le bilan, c’est une grande confusion. « On ne trouvait pas de case ‘vin’ dans leur dossier ! » s’étonnait un négociant. « Finalement, on a répondu… mais plus pour le symbole qu’autre chose. » Chez Oé, marque déjà largement engagée dans le réemploi, le PDG Thomas Lemasle n’est toujours pas « sûr à 100% qu’on y sera, mais quand même à 80 % », bien qu’il n’ait pas répondu à cet AMI et laissé l’opérateur ligérien Bout' à Bout' jouer les mandataires, une fonction assez floue. Du côté des interprofessions, le Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB) assure « qu’entre 20 et 30 maisons bordelaises ont candidaté, donc oui, il y aura du vin. » Interloire a soutenu un consortium de douze entreprises volontaires, mais pour une autre opération, l’appel à projets d’Adelphe (qui lui aussi s’est clôturé début novembre, d’où une certaine confusion). Des grandes marques, comme Café de Paris, seraient sur les rangs. « C’est le bordel ? Ah oui, on peut dire ça », glisse un connaisseur du dossier.
Une liste finale (mais évolutive) des contenants consignables sera communiquée « avant la fin de l’année », annonce Citeo. Et en coulisses, ils sont plusieurs à ne pas croire à la présence d’une marque de vin au moment du grand lancement, en mai. « Mais allez savoir, soupire un observateur. Le dernier mot appartient de toute façon aux distributeurs, qui gardent quoiqu’il arrive la main sur leur achalandage ».
La bouteille de vin R-Cœur « a fait l’objet d’un refus généralisé de la filière viticole, résume Sophie NGuyen. C’est la seule filière à l’avoir refusé. » Qui, quand, où exactement ? Ce n’est pas très clair. « On a réuni pas mal d’acteurs et les fédérations », explique Mehdi Besbes, d’Adelphe (la branche "vin" de Citéo), notamment lors des "ReUse Days", sur la base du volontariat.
La responsable réemploi du CIVB confirme ainsi avoir été consultée « sur la couleur de la bouteille ». Chez Interloire « on en a entendu parler mais c’est tout. » Chez Vignerons Engagés, en revanche, la directrice Iris Borrut n’en a « jamais entendu parler ». Plusieurs sources évoquent un refus venant d’abord des grandes maisons de négoce.
Concernant les raisons du refus, très vite plusieurs « craintes » seraient apparues, notamment la gestion des flux export, indissociables. Or « les emballages R-Cœur doivent faire des boucles, si un pourcentage significatif se retrouve à l’étranger, il y a un problème » pour Citéo, qui finance la fabrication de ces bouteilles, explique Sophie Nguyen.
L’autre problème soulevé relève plutôt du marketing, la filière voyant dans l’embossage « un risque par rapport à l’image de leurs produits ». Le souvenir de la bouteille "cinq étoiles" a resurgi dans le débat. A la connaissance de Citéo, aucune étude spécifique sur la bouteille de vin standard, R Cœur ou autre, n’a été consultée pour évaluer ce risque.
Le principe d’une bouteille de vin standard n’est toutefois pas abandonné. « Citéo travaille sur une bouteille bordelaise teinte transparente et verte, plus un format bouteille bourguignonne teinte feuille morte », pour 2025, résume Sophie Nguyen. « Depuis qu’on a abandonné le R-Cœur, les discussions vont beaucoup plus vite. »