haque maillon de la chaîne de valeur dans la filière vin est susceptible d’utiliser des technologies numériques. Si les progiciels de gestion intégrée dans les domaines financiers et comptables, ainsi que des systèmes de gestion de la relation client et des activités marketing sont assez largement employés, le sondage réalisé par ProWein auprès de plus de 2 000 professionnels dans le monde montre que « globalement le niveau de digitalisation des ventes de vin reste plutôt faible. Etant donné la baisse des ventes de vins dans beaucoup de pays, il semblerait qu’il y ait un potentiel inexploité des outils numériques pour améliorer le dialogue avec les consommateurs et les ventes », pointe le rapport.
Un mix de nouvelles et d’anciennes techniques
Des disparités importantes apparaissent quant au niveau d’adoption de ces technologies. Ainsi, seuls 40% des producteurs emploient des outils numériques en cave et dans le vignoble, alors que le marketing digital est beaucoup plus répandu. En effet, plus des deux-tiers des entreprises vinicoles s’appuient sur des campagnes emailing et les réseaux sociaux pour promouvoir et vendre leurs vins, et un nombre identique opère une boutique en ligne. Bien souvent, les entreprises ont recours à un mix, la moitié d’entre elles, par exemple, diffusant encore des mailings et catalogues papier et 39% des sondés continuent d’utiliser le télémarketing. Pour ce qui est du commerce électronique et des mesures de performance en ligne, la moitié des entreprises estiment que les moteurs de visibilité et d’optimisation des sites internet (SEM) sont essentiels pour mieux comprendre les habitudes des usagers et optimiser leur performance. Le rapport de ProWein note que « la filière vin commence à se rendre compte » de la nécessité de cibler et de personnaliser le marketing en ligne « pour rester pertinent et toucher de nouveaux consommateurs de manière efficace ».
D’abord une stratégie de marque
Le niveau d’adoption des technologies numériques au sein de la filière est relativement faible comparé à d’autres secteurs d’activité. « Le secteur du vin est frileux », confirme Paul Mabray, pionnier des nouvelles technologies basé en Californie. « La quantité de vin disponible chaque année étant limitée, le budget marketing l’est automatiquement, contrairement à la bière ou aux spiritueux où on peut en produire de nouveau si une campagne marketing est particulièrement réussie. La quantité limitée de vin chaque année entrave l’innovation ». Pour ce spécialiste, qui a passé un an à tenter de comprendre les freins à l’adoption du numérique en Californie – pourtant patrie de la Silicon Valley – il faut diviser ce « vaste domaine » en trois composantes plus faciles à appréhender : les aspects fondamentaux pour mettre en pratique une stratégique numérique dans son entreprise ; des améliorations constantes où l’on apporte de petits ajustements de façon courante ; et une activité périodique et fortement génératrice de retour sur investissement comme une campagne emailing ou des solutions pour réduire les coûts du transport, par exemple. Et de prévenir : « Le digital n’est qu’un outil. C’est un formidable amplificateur mais il faut d’abord savoir comment on veut s’en servir, et le point de départ réside souvent dans sa stratégie de marque. Qui sommes-nous ? Qui va choisir notre vin dans un océan de références ? Le digital est un simple moyen de dialoguer avec nos consommateurs ».
Le retour sur investissement
Ce serait pourtant réducteur d’évoquer uniquement l’application des technologies numériques à l’aval du secteur. Entre la robotique dans le vignoble et le chai et toutes les aides à la décision, le champ est vaste là aussi. La maison portugaise Sogrape offre un exemple éloquent des avantages nombreux et rémunérateurs des technologies numériques, d’autant plus qu’elle bénéficie d’un recul de plus de vingt ans sur la question. Entreprise protéiforme, elle a dû développer son propre système de gestion – WiCO – pour que « les chefs de culture parlent la même langue que les œnologues en s’appuyant sur les mêmes données », explique son responsable R&D, Antonio Graça. Il y a plus de dix ans, Sogrape a investi dans un important réseau de stations météo, lui fournissant des données en temps réel « avec un taux de précision de 80% à 5 jours. Les seules économies en pulvérisation – c’est-à-dire la réduction des pertes à cause du lessivage – ont permis de financer le réseau en deux ans ».
Les écueils à éviter
Cette expérience a été riche d’enseignements pour Antonio Graça : « La crédibilité des données est indispensable, si elles ne le sont pas, c’est un investissement gâché. Par ailleurs, cela ne sert à rien d’avoir des données tellement fines qu’elles en deviennent inexploitables en termes de prise de décision ». Et de préciser que Sogrape dispose d’informations sur 3,5 millions de pieds de vigne dans tout le Portugal, qu’il a fallu lisser parce que les œnologues se sentaient submergés : « On a dû rendre ces informations facilement compréhensibles, utilisables et pertinentes ». Enfin, autre obstacle : les difficultés de recrutement face à un tel arsenal de solutions numériques. Pour cela, Sogrape a rejoint un groupe de grandes entreprises et d’administrations pour mettre en place des formations de requalification, un atout notamment en matière de viticulture où l’adoption des nouvelles technologies s’est avérée plus difficile qu’en cave.
Savoir échouer pour innover
« Il faut prendre en considération toutes les conséquences et implications du digital, en amont comme en aval, pour ne pas se retrouver avec un retour partiel sur investissement », souligne Antonio Graça, qui estime que l’adoption du digital nécessite surtout un changement fondamental de mentalité : « On passe d’une gestion réactive et corrective à une gestion proactive. Sa capacité d’échouer est également indispensable pour innover. Il n’y a rien de pire pour la créativité que la peur ». Et d’insister enfin sur le fait que le digital ne nécessite pas forcément d’importants moyens financiers : « Pendant les cinq premières années, j’avais 0 budget. En revanche, la curiosité intellectuelle est primordiale et le fait de savoir pourquoi on le fait. L’innovation n’est utile que lorsqu’elle génère une plus forte valorisation qu’avant ».