n fervent supporter du XV de France, Jérôme Benoît ira assister au match France-Irlande à Dublin le 8 mars prochain. Pour ce vigneron de la vallée du Rhône, ce sera l’occasion d’aller enfin rendre visite à l’un de ses meilleurs clients, avec lequel il partage cette passion. « Je travaille depuis 2005 avec un importateur irlandais qui me prend 1 400 cols chaque trimestre, explique-t-il. Entre amateurs de rugby, des liens se sont créés ! »
À la tête du Mas des Flauzières, un domaine de 35 ha à Entrechaux, près de Gigondas, Jérôme Benoît produit annuellement 90 000 cols qu’il vend pour un tiers à l’export, un tiers au circuit traditionnel et un tiers aux particuliers. Il n’a guère le temps de voyager, ce qui ne l’empêche pas d’entretenir des liens durables avec ses clients étrangers.
« Nous nous retrouvons sur des salons, à Paris et ailleurs en France, et nous en profitons pour aller manger ensemble, illustre-t-il. Ils sont déjà venus plusieurs fois au domaine sans que j’organise un événement particulier : ils passent lorsqu’ils sont dans la région pour un salon ou pour la tournée de leurs clients, et il m’arrive même de les loger. »
La fidélité de ses clients doit plus aux liens « presque amicaux » qu’il a tissés avec eux qu’à une politique tarifaire particulière. « Je suis raisonnable sur mes prix et quand je dois les augmenter, je le fais avec parcimonie, confie-t-il. Mais si, une année, un client historique me demande exceptionnellement de ne pas augmenter mon tarif, il m’arrive d’accepter. Je réponds aussi volontiers aux cavistes ou restaurateurs qui requièrent ma présence sur un évènement. »
Certains professionnels ont des attentes plus spécifiques. Le caviste en ligne Petites Caves, par exemple, aime apposer sa griffe sur des cuvées exclusives. À la Ferme des Sept Lunes, 10 ha bio en appellation Saint-Joseph, Jean Delobre et son associé Jacques Maurice ont joué le jeu.
« Petites Caves étaient déjà clients quand ils nous ont demandé une cuvée exclusive en 2020, indique Jean Delobre. Ils sont venus déguster plusieurs fûts et en ont choisi un. Nous avons fait un tirage spécial, ils ont choisi le nom de la cuvée et fabriqué leurs étiquettes. » Cette première série de 300 cols a été suivie d’une seconde un an plus tard.
Les deux vignerons ont aussi été sollicités par un caviste parisien. « Il a sélectionné deux barriques, nous avons choisi le nom et le dessin des étiquettes de ces 600 bouteilles et les avons fait imprimer, relate Jean Delobre. Ces micro-cuvées représentent certes un petit surcoût mais nous trouvons l’idée sympa. Et ces cavistes mettent en avant notre domaine. »
La clientèle pro représente plus de 90 % de leurs ventes, partagée entre un noyau de fidèles – certains depuis plus de trente ans – et des acheteurs plus volatils. « Le milieu des vins bio nature aime les jeunes vignerons, alors il n’est pas facile de garder sa place, confie Jean Delobre. Pour entretenir la fidélité de nos clients, nous les voyons sur les salons et montons une à deux fois par an à Paris afin de tourner avec nos agents. J’aimerais tous les inviter à une dégustation au domaine, mais nous n’avons pas encore trouvé le temps. »
À Fleurie, dans le Beaujolais, Arnaud Desprès l’a trouvé. « Tous les ans, nous organisons un repas auquel nous convions une dizaine de restaurateurs locaux à partager un casse-croûte et déguster différents millésimes, indique le gérant du domaine de la Madone. Ce n’est pas un gros budget : c’est simple, mais sympathique. Les importateurs, eux, nous appellent quand ils sont de passage et nous les recevons individuellement. Et beaucoup de professionnels locaux viennent chercher leurs vins directement au domaine et goûtent alors les nouvelles cuvées. »
Ce vigneron sort aussi de chez lui. Il se rend sur deux ou trois salons par an et chez certains de ses clients. « Je vais chaque année à Londres chez un importateur qui est client depuis plus de vingt ans et nous prend 6 000 bouteilles par an, illustre-t-il. Je me rends aussi en Écosse et en Belgique. Rien ne nous y oblige. Le voyage est à nos frais, mais on est très bien reçu ! Et cela entretient les liens. » Surtout, Arnaud Desprès a des attentions pour ses clients fidèles : il leur réserve des volumes les années maigres, et même des vieux millésimes pour certains restaurateurs.
Anaïs Josserand, est la gérante de la Cave Ô Papilles, à Lyon. « Je travaille avec certains vignerons depuis l’ouverture de ma boutique, il y a neuf ans. D’abord parce qu’ils font de bons produits – ça reste la base – sans pratiquer des tarifs aberrants. Et puis il y a l’aspect humain : ils sont sympas, disponibles et à l’écoute. Nous avons une relation chaleureuse, sans être envahissante – on ne s’appelle pas tous les quatre matins ! Et même si je ne suis pas très demandeuse en ce qui concerne les animations, je sais qu’ils sont prêts à y répondre. De même que leur porte m’est ouverte. Je ne débarque jamais à l’improviste, mais n’ai pas non plus besoin d’attendre une invitation : si je souhaite passer, il me suffit d’appeler. » « À l’inverse, j’ai parfois arrêté de travailler avec des vignerons à cause d’une hausse brutale de tarifs ou d’une modification de leur gamme. Ce peut être aussi à cause d’un changement de pratiques : si, d’un coup, je ne m’y retrouve plus dans les modalités de commande, les délais, les quantités, je vais chercher un autre fournisseur. Et j’avoue que si je n’ai pas de nouvelles de certains depuis longtemps et que je n’ai plus leurs vins en boutique, je les oublie un peu… »