ntre des logements bien trop petits et bien trop insalubres (pas d’eau chaude, sanitaires sans lunette ni brosse ni loquet, pas de placards, installation électrique défaillante…) et des journées de travail sans fin (lever à 4 heures pour débuter à 5h dans les vignes jusqu’à 14h sans pause réelle : « on ne faisait que courir » témoignait en audience une partie civile, évoquant la poursuite de la journée de travail par des travaux de maçonnerie chez son employeur), l’épais dossier de traite d’être humain dans le vignoble de l’Entre-deux-Mers de Duras est une première pour le tribunal judiciaire de Bordeaux.
Revendiquant « une appréciation concrète » de cette affaire, Gérard Pitti, le président de la quatrième chambre correctionnelle est rentré en condamnation ce jeudi 26 juillet. Il jugeait 5 prévenus issus d’une même famille : un fils, Larbi El Guazra, président d’une SAS de prestation de services viticoles dans l’Entre-deux-Mers, son père, Jilali El Guazra, responsable d’équipe dans cette SAS, son oncle, gérant sa propre entreprise de prestation de services viticoles dans l’Entre-deux-Mers, sa mère, Aïcha Lakrimi, gérant l’administratif de sa SAS, sa tante, Angélique Sozeau, étant la responsable administrative de l’entreprise de son oncle. Jugeant qu’elles n’avaient qu’un rôle comptable et pas de complicité, la juridiction relaxe la mère et la tante. Faute d’infraction caractérisée (il n’y avait pas de plaignants), l’oncle est également relaxé, ce qui a suscité les applaudissements des soutiens de la famille de prévenus, et l’ire du président Gérard Pitti (« un peu de respect ! Où vous croyez-vous, au spectacle ? Le prochain qui fait ça je le fais mettre dehors ! »).


En détention provisoire depuis fin mai 2024, le fils et le père, Larbi et Jilali El Guazra, sont condamnés. Président de la société de prestation, le fils écope de 30 mois de prison (dont 20 avec sursis probatoire) pour avoir permis une « situation incompatible avec la dignité humaine [dans les logements et] les conditions de travail », peine assortie d’une amende de 15 000 euros et la confiscation des saisies (25 000 €). Son père voit les poursuites le visant être requalifiées en complicité (avec « des brimades et des insultes qui rendaient incompatibles avec la dignité humaine les conditions de travail » rapportées par les plaignants), avec une condamnation à 15 mois d’emprisonnement (dont 7 avec sursis probatoire), 5 000 € d'amendes et la confiscation des saisies (4 600 €). Tous deux se voient interdits d’exercer un métier de prestation de services en agriculture pendant cinq années.
Sur les 15 victimes initialement attendues par le tribunal lors de l’audience fleuve du 10 juin, seulement 4 anciens employés de Larbi El Guazra se sont portés parties civiles, 6 autres se désistant à la barre et témoignant de la probité du fils et de son oncle (ils étaient encore employés et souvent membres de la famille poursuivie). Ces quatre parties civiles sont chacune indemnisées par les deux condamnés à hauteur de 5 000 € de préjudice moral, 11 000 € de préjudice financier et 1 500 € de frais d’avocat. Le préjudice financier fait référence à l’achat de contrat saisonnier qui revenait dans les récits des quatre parties civiles : elles rapportaient la promesse faite lors de leur embauche, en juin 2022, de 3 ans d’emploi dans le vignoble avec un contrat de travail, un salaire de 1 600 €/mois et un logement, contre le paiement au Maroc de 100 000 dirhams (10 000 €). De belles promesses qui ne se concrétisaient pas une fois arrivés en France.


Les réquisitions de la procureure, Perrine Lannelongue, étaient deux fois plus lourdes, estimant lors de l’audience qu’« il s’agit d’exploiter le rêve d’ailleurs de ses compatriotes, ce qui rend l’infraction particulièrement détestable » avec des conditions de logement et de travail indignes. « Face à l’ampleur du phénomène et des difficultés de recrutement dans l’agriculture, soit on banalise, soit on décide de réprimer » poursuivait-elle. Le tribunal a décidé de réprimer. Grands absents de la procédure, les domaines viticoles doivent être vigilants, leur statut de donneur d'ordres les obligeant à veiller aux bonnes conditions de travail et de logement de leurs saisonniers, même recrutés via la prestation de services.