on propos est net : « Après le rappel passé en juin 2023, nous ne pouvons plus travailler avec les influenceurs lifestyle qui couvrent autant le vin que les voyages ou le bien-être, mais uniquement avec des influenceurs professionnels du vin », annonce Chloé Maixandeau, responsable marketing de la coop girondine Terre de Vignerons. Le rappel en question figure dans la loi visant à encadrer « l’activité d’influence commerciale ». Il stipule que la loi Évin s’applique aux influenceurs. Or, bien peu d’entre eux la connaissent et imaginent ses contraintes.
C’est en 2018 que Terre de Vignerons a commencé à faire appel à des influenceurs pour donner de la visibilité à sa marque phare Berticot. En 2023, trois influenceurs spécialisés dans le vin ont travaillé pour la coop. Bilan de leurs campagnes : 178 contenus créés (textes, photos, vidéos) vus 2 millions de fois et 1,7 million de personnes touchées. Des chiffres impressionnants. Reste que les choses se compliquent. « Certains influenceurs sont de plus en plus réticents à collaborer avec le monde du vin par crainte de se faire taper sur les doigts », observe Eva-Lan Baffert, directrice de clientèle de Monet, l’agence de relations publiques qui gère les influenceurs pour Terre de Vignerons.
C’est pourquoi, en 2025, la coop va changer son fusil d’épaule. D’une part, elle va à nouveau travailler avec des influenceurs lifestyle mais uniquement pour ses vins sans alcool. D’autre part, elle va revenir aux recettes classiques pour cibler les jeunes, à savoir des événements. Ainsi, elle prévoit de nouer des partenariats avec des bars branchés dans le Sud-Ouest, à Paris et dans les Hauts-de-France. Ces bars achèteraient ses vins, la coop fournirait de la PLV et un de ses salariés animerait des soirées.
En Bourgogne, Lucas Przybyla, responsable marketing et communication de la maison Albert Bichot, travaille depuis quatre ans avec des influenceurs. « Nous avions besoin de nous faire mieux connaître, de faire du bruit auprès d’une cible jeune. Notre budget de communication est destiné à 70 % à l’international. Sur les 30 % restants, nous dédions 45 % à la cible des 25-35 ans », indique-t-il. Une stratégie qui porte ses fruits : la campagne baptisée « Vendanges sonores », qui s’est déroulée en septembre 2023 avec neuf influenceurs, a touché 391 000 personnes.
« Avec les influenceurs, on peut mesurer très vite les résultats concrets d’une campagne. Ce n’est pas le cas avec la publicité dans la presse papier », apprécie Lucas Przybyla, qui sélectionne avec soin ses prestataires. « Nous faisons très attention à leur profil et veillons à ce qu’ils respectent la loi Évin, ajoute-t-il. Nous étudions leurs contenus, leur crédibilité et l’âge du public auquel ils s’adressent mais aussi à leur engagement dans le vin. S’ils appartiennent à un club de dégustation, c’est un plus. »
En Gironde, le Syndicat viticole des Côtes de Bourg a fait appel à une vingtaine d’influenceurs ces cinq dernières années pour relater des évènements œnotouristiques tels que La Nuit du Terroir. Pour les sélectionner et rédiger leur contrat, Didier Gontier, le directeur du syndicat, passe par l’agence Clair de Lune « qui les gère parfaitement », observe-t-il. C’est elle qui s’assure qu’ils respectent la loi Évin.
La Nuit du Terroir, qui se déroule début août avec dégustation de vins, marché de producteurs, scène musicale, etc., a attiré 3 500 personnes l’an dernier. Olivier Mauhin, un influenceur qui draine 12 400 followers et qui connaît bien le vin, a couvert cette fête. « Nous nous sommes concentrés sur ce seul partenariat payant bien ficelé qui nous a apporté une vidéo, une dizaine de stories et des photos de l’évènement », indique Didier Gontier, qui rappelle que la communication sur l’œnotourisme est plus ouverte que celle sur les vins.
Pour tous, la prudence est de mise. Le 4 mars dernier, le tribunal correctionnel de Paris a sanctionné les publications de l’influenceuse Anna Rvr portant sur un rosé de Gérard Bertrand qui mêlaient « glamour, hédonisme, évasion [et qui faisait] appel au lexique de la sensualité », indique Addictions France. Avant cela, cette association, qui juge que le simple fait de faire appel aux influenceurs pour promouvoir le vin contrevient à la loi Évin car ce sont des célébrités, avait fait condamner d’autres influenceurs. Depuis, « tout le monde est frileux, les entreprises comme les influenceurs », note Alice Rebillard, directrice associée de l’agence de relations publiques Pain Vin Company. Un moyen de cibler les jeunes se refermerait-il ?