Crise viticole : quel avenir pour les territoires ruraux de Gironde ?" posait la conférence organisée par la Société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) ce jeudi 4 juillet à Bruges (Gironde). Quel présent déjà pour les vignerons en crise bruissait l’auditoire, comme l'interpelle François Castaigna, administrateur de la cave coopérative de Quinsac et délégué pour Créon de la FDSEA de la Gironde, rapportant vivre « avec des revenus négatifs, une valeur du foncier qui a disparu et plus de valeur locative. Le vignoble était notre immeuble de rapport. On arrache aujourd’hui nos immeubles de rapport. C’est d’une violence inouïe. » Interpelé, un représentant de la Banque Populaire reconnaît que « la situation se dégrade » avec « de plus en plus de procédures judiciaires, que l’on déplore ». Porte-parole de la Confédération Paysanne de Gironde, Dominique Techer tranche : « il y a une violence monumentale, parce que des gens se demandent comment ils vont bouffer le soir. On n’a pas pris la mesure et on continue de ne pas prendre la mesure. Aujourd’hui, [des vignerons] sentent l’injustice de travailler 70 heures par semaine pour un travail qui n’est pas rémunérateur, et de devoir quémander de l’aide comme des mendiants. »
Malgré ces difficultés remettant en cause les modèles économiques des exploitations, « en viticulture, un certain nombre d’exploitants ne sont pas prêts psychologiquement, ou n’ont pas envie, de se dire que l’on va faire autre chose que de la vigne » rapporte François Rauscher, le directeur du pôle filières agricoles et diversification de la Chambre d’Agriculture de Gironde (CA33). « Je viens du monde de l’élevage, j’ai passé 40 ans à voir des crises en agriculture » relève-t-il, pointant que si le Chambre a des pistes de solutions (diversification à petite échelle pour des circuits courts, insertion dans des filières structurées demandeuses comme les kiwis, les noisettes ou l’élevage, essai de cultures inhabituelles comme les oliviers et le chanvre), « il y a un aspect psychologique que l’on a sous-évalué au lancement de l’opération de diversification » car des viticulteurs « qui disent non à toutes nos propositions ». S’« ils nous appellent car ils voient ces hectares où il n’y a rien dessus et où ils se disent pourquoi pas », François Rauscher « sent bien qu’ils n’ont pas passé le cap où ils ont envie de faire autre chose que de la vigne. Je les respecte profondément : ça doit être très dur tout ce qu’ils vivent. Un certain nombre de viticulteurs ne sont pas prêts à redevenir éleveurs. Pour eux c’est presque une régression sociale. »


L’arrachage interroge aussi les communautés de communes. « Après le passage des pelleteuses, le paysage change par l’absence de vignes » relève Jean-Luc Lamaison, le maire de Nérigean et vice-président de la communauté d’agglomération du Libournais (Cali). Dans le cadre de son prochain projet local d’urbanisme, la Cali souhaite ainsi accompagner la diversification des parcelles arrachées. « On mène des études, on choisira les filières et après on mettra le paquet. C’est vital pour notre territoire » résume Jean-Luc Lamaison. « On est persuadé que le domaine viticole va redevenir une polyculture, avec plusieurs ateliers sur une même exploitation » pointe Stéphane Gabard, le président de l’Organisme de Défense et de Gestion (ODG) des Bordeaux, notant que la diversification peut être agricole, mais aussi touristique. Ce qui appelle le vignoble à la prudence face au potentiel développement de l’agrivoltaïsme. Activité qui est loin d’être mure, entre absence de « 6 documents pour instruire convenablement les demandes agrivoltaïques » et l’absence de « résultats suffisants d’expérimentations et de tests » résume Quentin Hans, le délégué général de la Fédération Française des Producteurs Agrivoltaïques (FFPA).
Dans le vignoble, « on a un sujet de revenu. Si aujourd’hui il y avait un revenu sur l’exploitation on ne penserait même pas à faire de l’agrivoltaïsme, de la polyculture... » pose Arnaud Courjaud, président du comité technique départemental de la SAFER de Gironde. Le viticulteur tire un constat implacable : « aujourd’hui, on n’installe pas de jeunes dans le vignoble bordelais. Et si on me demandait pour une installation, je ne vais pas être positif. Je vais dire au jeune : trouve-toi un travail et dans 2-3 ans, quand ça ira mieux, tu pourras y aller (à part dans le cas de successions familiales). » Sur son propre domaine viticole du Nord Gironde, Arnaud Courjaud rapporte qu’« il y a cinq ans, j’ai installé un atelier d’asperges. Sinon, je ne serai plus là. Aujourd’hui, je mets un atelier bovin. On peut se lamenter en disant que l’on va mourir ou l’on peut faire autre chose. Ça ne me plaît pas : j’ai autre chose à faire que de faire des asperges et des vaches en plus des surfaces vignes que j’ai. Soit on subit et on risque de disparaître, soit on essaie autre chose pour passer la crise. »