ans le Vaucluse, confier les vendanges manuelles à des prestataires de services est «illicite». Oui, vous avez bien lu : illicite ! La direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités (DDETS) considère en effet que ce travail ne nécessite pas de technicité particulière. Or, selon cette administration, pour justifier le recours à un prestataire, ce dernier doit apporter un savoir-faire technique. En vertu de ce principe, la DDETS du Vaucluse considère que l’ébourgeonnage, l’attachage ou la plantation ne peuvent pas non plus être confiés à un prestataire car il n’y a pas besoin de compétence particulière pour réaliser ces travaux… Pour la taille, en revanche, ce recours est permis.
«Il s’agit d’une interprétation très tatillonne de la réglementation», déplore un responsable professionnel, qui ne comprend pas pourquoi l’Inspection du travail du Vaucluse en a fait un cheval de bataille. En attendant, des vignerons en font les frais. «Mi-septembre, l’an dernier, deux inspecteurs ont effectué un contrôle sur une parcelle en cours de récolte, raconte l’un d’entre eux. Je n’étais pas présent. Sur place, il y avait une dizaine de cueilleurs employés par le prestataire de services auquel j’avais fait appel. Les inspecteurs ont contrôlé leur identité. Le chantier est resté bloqué pendant plusieurs heures.»
Le couperet est tombé quelques mois plus tard. «J’ai reçu un courrier me demandant de fournir une série de pièces relatives à la prestation, enchaîne ce vigneron, qui souhaite garder l’anonymat. Comme le contrat portant sur les services conclus, les modalités de fixation des prix…» S’il n’y avait que cela… Mais l’administration lui reproche de s’être livré à du «prêt de main-d’œuvre illicite», ce qui est passible de 30 000€ d’amende et de deux ans d’emprisonnement. Convoqué à la DDETS, il a dû répondre à une salve de questions sur les travaux qu’il a confiés à son prestataire. Son dossier va être transmis au procureur de la République de Carpentras, qui décidera des suites à donner.
Depuis 2019, une dizaine de dossiers de ce type seraient arrivés sur le bureau du ministère public, d’après nos sources. Toutes ces affaires se seraient soldées par de simples rappels à la loi.
Dans la même situation que son confrère, un vigneron de la vallée du Rhône se désole. «On est coincé. L’administration nous refuse le droit de faire appel à des prestataires de services pour effectuer les vendanges manuelles. Or, chez nous, elles sont obligatoires, et il est de plus en plus difficile de trouver de la main-d’œuvre. Autrefois, on y arrivait. Mais aujourd’hui, c’est mission impossible. Et si des personnes se présentent, elles ne viennent qu’un jour ou deux et puis s’en vont. La récolte, elle, n’attend pas.»
Ce vigneron s’est défendu en expliquant que le tri du raisin à la parcelle est obligatoire dans son appellation. «Cela requiert de l’expertise et donc de la technicité», argumente-t-il. En attendant, il s’inquiète pour les vendanges à venir : «On est dans l’impasse.»
Interpellées par leurs adhérents, les instances professionnelles sont montées au créneau. «Dès 2019, nous avons pris contact avec la DDETS en nous étonnant de cette situation, indique Jessica Payeras, directrice du syndicat des vignerons de Châteauneuf-du-Pape. La prestation de services a toujours existé et, jusque-là, l’administration n’y voyait pas d’inconvénient.»
Pour se justifier, la DDETS met en avant une note ministérielle, dont l’interprétation qu’elle en fait laisse perplexe (voir l’encadré). Et elle conseille aux viticulteurs de se tourner vers France Travail ou des agences d’intérim afin de trouver des vendangeurs. «À Châteauneuf-du-Pape, ce sont pas moins de 300exploitations qui ont besoin de vendangeurs au même moment, observe Jessica Payeras. France Travail ne sait pas répondre à ce besoin, ni aucune agence d’intérim.»
Autre source d’incompréhension, seul le Vaucluse est concerné par ce problème. «J’ai sondé d’autres régions, explique Thierry Vaute, président des Vignerons Indépendants de la vallée du Rhône. Il n’y a rien de semblable ailleurs, alors que de nombreux viticulteurs font appel à des prestataires de services pour les vendanges et les autres travaux dans les vignes.» Contactée par La Vigne, la DDETS a botté en touche en invoquant un motif tout trouvé : l’obligation de réserve en période préélectorale.
«Nous avons l’impression d’être dans le collimateur de cette administration, commente Sophie Vache, présidente de la FDSEA de Vaucluse. Nous l’avons rencontrée à plusieurs reprises afin de faire valoir nos arguments et demander une tolérance pour la période des vendanges. On nous répond “oui”, mais ce n’est jamais suivi d’effet.»
Depuis cette année, la FDSEA a constitué un groupe de travail avec les syndicats de vignerons des Côtes-du-Rhône et de Châteauneuf-du-Pape, la Fédération des Vignerons Indépendants, La Coopération Agricole Sud, des représentants d’autres filières agricoles et de prestataires de services. «Étant donné que nous sommes le seul département dans ce cas de figure, on est très peu aidés, déplore Claire Merland, directrice de la FDSEA. Pour autant, on ne désespère pas de faire bouger les lignes.» Récemment, un soutien est venu de la députée RN du Vaucluse, Marie- France Lorho. Fin février, avec vingt-six autres députés, elle a formellement demandé au gouvernement d’inviter la direction départementale du travail du Vaucluse à revoir sa position. Affaire à suivre.
Selon la Direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités du Vaucluse (DDETS), les vendanges manuelles ne peuvent pas être confiées à des prestataires de services car elles ne nécessitent pas de gestes techniques. Pour justifier de cette interprétation, la DDETS s’appuie sur une ancienne note ministérielle relative à la sous-traitance. Cette note datée du 20mars 2000 stipule que «le contrat doit avoir pour objet l’exécution d’une tâche nettement définie que le donneur d’ordre ne veut ou ne peut pas accomplir lui-même avec son personnel, pour des raisons d’opportunité économique ou de spécificité technique.» De cette instruction, la DDETS ne retient visiblement que la «spécificité technique», et fait l’impasse sur les aspects économiques qui constituent la principale raison pour laquelle les vignerons ont recours à des prestataires.