500 heures par an. Au Domaine Pauvif, 45 ha en Côtes de Bourg, les deux tracteurs et la vendangeuse tournent près d’un quart de l’année. En cabine, Lucas Pauvif et son père se répartissent travail du sol, broyage, tonte, rognage, effeuillage, fertilisation, traitements et vendanges, dans leurs vignes situées à Teuillac.
Aussi, rien d’étonnant à ce que Lucas Pauvif tienne à son confort. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il n’a pas hésité, il y a trois ans, à se séparer d’un Landini encore neuf pour le remplacer par un Fendt Vario. « La suspension pneumatique du siège, l’ergonomie et l’insonorisation de la cabine ainsi que la stabilité de cette machine sont meilleures », juge-t-il.
Habile à rationaliser son temps de travail, le jeune vigneron a fait du tracteur une annexe de son bureau. « Je poursuis ma journée administrative et commerciale dans la cabine et reste en contact téléphonique avec le personnel au bureau. Le téléphone étant accroché à un bras articulé, je consulte facilement tout document, concernant par exemple un client ou un fournisseur, car tous nos fichiers sont dématérialisés. » Dans ce cas, il ne stoppe même pas le tracteur, sauf parfois « en bout de rang, s’il faut visualiser attentivement un fichier excel par exemple ».
Moins à son aise, Frédéric Becht, gérant du Domaine Pierre et Frédéric Becht, 25 ha à Dorlisheim, dans le Bas-Rhin, ne téléphone qu’avec parcimonie et, dans ce cas, il s’arrête. « J’ai un tracteur Holder série C que je trouve confortable, mais la cabine reste bruyante. De plus, mon kit main libre n’est pas de grande qualité. Alors si un appel me semble important, je stoppe pour répondre. Et j’ai un carnet à disposition pour noter un détail en cas de besoin. » Frédéric Becht lit quand même ses mails tout en roulant, mais il diffère ses réponses, une fois à l’arrêt.
Laurent Cornud est plus radical. Pour lui, téléphoner et travailler les vignes ne marche pas ensemble : « Quand je suis en voiture, je ne peux pas soutenir une conversation sérieuse en même temps que je cherche mon chemin. Eh bien, c’est la même chose en tracteur. Si un ami me raconte une blague, ça va. Mais si je discute avec un client sur un sujet important, ça ne va plus. Et ça m’exaspérait d’être obligé de m’arrêter toutes les trente secondes pour répondre au téléphone, donc je le laisse de côté. »
En plus d’entretenir ses 35 ha de vignes à Beaumes-de-Venise, Laurent Cornud est prestataire par le biais de son entreprise LC agri/vini-service, à Aubignan. En tout, il s’occupe de 100 ha de vignes. C’est pourquoi il a embauché des tractoristes. Lui conserve surtout le travail de nuit. Loin de s’en plaindre, il apprécie ces heures au cours desquelles personne ne vient troubler le silence de la cabine. « Sur les coups de 4 heures du matin, concentré sur ce que je fais, j’ai l’esprit libre, je me sens serein. » Laurent Cornud affirme ne pas sentir l’attaque du sommeil.
Pour se distraire et retenir son attention quand le temps s’étire trop lentement, Lucas Pauvif regarde d’un œil des vidéos sur YouTube, des films ou séries sur Netflix ou Canal Plus. Mikael Bouscari, qui travaille sur 47 ha à Servian, dans l’Hérault, visionne des spectacles musicaux ou humoristiques. Astucieux, il a imprimé en 3D un support pour maintenir son téléphone à l’horizontale. « Mais j’écoute plus que je ne regarde. Je jette un œil de temps en temps. J’écoute aussi des émissions de sport en podcast à la radio et de la musique électro. » Frédéric Becht compte lui aussi sur la musique pour se dynamiser : « Ma playlist, c’est du hard rock. Le but est que ça bouge ! »
Rien de tel pour Laurent Cornud qui ne met la musique qu’en léger bruit de fond. Ce vigneron ne veut pas masquer le ronronnement du tracteur, car il tend en permanence une oreille de mécanicien : « Il faut pouvoir entendre tout bruit anormal. Cela peut venir d’une fuite, d’un manque de graisse, d’un roulement usé qu’il faudra changer avant la casse. Parfois, c’est juste une branche coincée sous le tracteur. » Pour lui, la priorité, c’est la concentration « quelle que soit la tâche. C’est du bon sens, car ce qui demande le moins d’attention, comme griffer le sol, se fait à une vitesse importante. Et on ne peut pas se permettre un écart quand on évolue dans 2,10 mètres avec un tracteur qui fait 1,40 mètre ».
Au cours de la dernière saison, Mikael Bouscari a cumulé avec son père 960 heures de tracteur sur leur domaine de 47 ha, à Servian, dans l’Hérault. Parfois, il a été amené à travailler des nuits entières pour traiter. « C’est au lever du jour que c’est le plus dur de tenir le coup. Quand je sens que je suis sur le point de m’endormir, je descends du tracteur et je fais 50 mètres en courant, puis je reviens et je repars. Ça suffit à me désengourdir et à me réveiller », assure-t-il. De son côté, Frédéric Becht a trouvé une parade pour rester éveillé, quand il passe jusqu’à 14 heures par jour, cinq jours sur sept sur son tracteur, durant la période des traitements. « Je fractionne les repas. J’emporte quatre sandwichs et j’en mange un toutes les trois heures. » Avec cela, il boit du maté, une tisane traditionnelle d’Amérique du Sud riche en caféine « mieux tolérée par l’estomac que le café ». Pour équilibrer son alimentation lors de ce régime particulier, il double sa ration de légumes le soir. Une fois, il s’est quand même endormi au volant. Rien de grave, il a cassé un piquet. Quant à Lucas Pauvif, il avoue qu’il lui arrive de traverser un rang… à la perpendiculaire. Gare au coup de barre.