Il faut vraiment retenir l’image d’une pointe de diamant agricole et viticole, dans une zone molle de ville », résume d’emblée Cécile Perraud, vigneronne du domaine des Trois Toits, à Vertou. Elle et Vincent Barbier ont repris le domaine en 2019, après une autre carrière. « En 2021, on a réalisé que, petit à petit, tout passait en friches autour de notre parcelle de cru de la Ville au Blanc. On s’est dit que si on ne faisait rien, dans 10 ou 15 ans, on serait tout seuls, entourés par la ville. »
D’où l’idée de « reconquête ». Le couple de néo-vignerons a commencé par prendre son bâton de pèlerin pour convaincre les propriétaires. L’affaire a pris près de deux ans, au terme desquels les Trois Toits se sont retrouvés aux manettes (en propriété via un GFA ou en fermage) de 11h hectares.
Deuxième étape : tout réhabiliter. Sauf que « 11 hectares, nous, on ne sait pas faire. Il nous fallait un designer d’espace agricole, un métier qui n’existe pas vraiment. On a eu la chance de trouver Benjamin Peneau. » Ce paysagiste basé à Nantes, formé à l’école du Paysage de Versailles, avait déjà travaillé sur un projet viticole résilient dans le Languedoc. Avec lui, le travail de « design » a duré un an. Le couple ne voulait pas que de la vigne sur ce nouvel espace.
Il s’impose aussi des prérequis exigeants, depuis le respect du paysage, jusqu’à une mesure de l’impact de l’enfouissement carbone, en passant par des choix de cépages répondant aux enjeux climatiques et de défense des appellations des vins de Nantes, ou encore une conduite de la vigne innovante et expérimentale… « Ça a été très long, soupire Cécile. Mais Benjamin nous a justement obligés à réfléchir à l’existant, à l’utiliser, là où, sans doute, on serait partis avec l’idée de tout arracher pour replanter des trucs.»
Les travaux ont finalement démarré à l’automne 2023 : les 11 ha ont été divisés en 18 ilots de culture de 100x50m, « à l’échelle du vigneron à pied », alignés et orientés de façon adaptée à l'outil motorisé. Chaque ilot est bordé par des zones prairiales non fauchées, créant des tournières, et à l’Est et l’Ouest, par des zones ligneuses, haies sèches ou vives (0,8ha en tout).
Chacun de ces ilots a son identité et sa fonction. Certains sont purement viticoles, 5,8 hectares en appellation en tout, plus 2,7ha de cépages dits résistants. La surface viticole créée ne servira pas uniquement au domaine des Troits Toits. Sur le reste des 11 hectares « plus on descend, plus on va vers le sauvage », avec des vignes arborescentes (ou vigne mariée avec des arbres), des noues et des mares, des chemins, des zones de « pharmacopée végétale », etc. Soit un « espace d’innovation sur les pratiques agricoles régénératives et résilientes ».
Enfin, 30% de l’espace restera sans culture. « Notre objectif a été de garder un maximum de l’existant », qu’il s’agisse d’orchidées sauvages… ou de friches viticoles. Cécile et Vincent ont en effet hérité de parcelles parfois laissées en état, fils, piquets et déchets divers compris, depuis 15 ans, et qu’il a fallu « nettoyer ». Ces ilots envahis par les ronces, bouleaux, chênes, ormes, frênes etc. occupent désormais une fonction de « réserve » semi-sauvage dans ce vaste espace agricole.
Pour ce projet de longue haleine, innovant sur le fond comme sur la méthodologie, trouver des aides financières s’est révélé très compliqué, malgré le soutien actif de la commune de Vertou et de Nantes Métropole. « On nettoie ce que d’autres ont laissé derrière eux, mais ces friches n’étaient plus dans le casier viticole, donc il n’y a pas d’aide », résume Cécile, fataliste. Pas de quoi décourager les vignerons des Trois Toits, cependant, qui ont d’autres idées très innovantes sous le coude. « Nous avons pris conscience de l'enjeu du paysage et donc de l'ampleur de la responsabilité qui reposait sur nos épaules : en implantant la vigne en tant que culture pérenne, nous allions façonner un paysage pour les générations futures. »