Régis Ambroise : Chaque époque a son projet, lisible dans le paysage. Le XXe siècle est celui d’une reconfiguration de l’agriculture, qui n’est plus fondée sur les ressources naturelles, l’eau, le vent, la pierre, les animaux, les arbres, mais le pétrole : les produits pétroliers directs mais aussi les engrais, les phytosanitaires, les produits d’entretien. Les chevaux sont remplacés par le tracteur, etc. L’espace est réorganisé, non plus pour découvrir et tirer parti de toutes ses spécificités comme au XIXe, mais pour utiliser au mieux cette ressource magique qu’est le pétrole. C’est ainsi que naît le bureau du remembrement, par exemple. C’est sans doute moins vrai pour la viticulture, mais on ne peut pas dire non plus que la vigne a été exclue du système des produits phytosanitaires.
Quels sont les effets pervers de cette "pétrolisation" des paysages ?
Aujourd’hui, les enjeux du paysage sont la taille des parcelles, liée à la simplification des systèmes et la spécialisation régionale, entraînant une banalisation des paysages. Il y a aussi la déprise agricole, et la forêt qui arrive. Et enfin l’urbanisation des campagnes.
Quel paysage préconisez-vous ?Les paysages de production intensive sont arrivés à un échec, conduisant à l’érosion, des inondations, etc. Les pouvoirs publics, en réaction, ont créé des zones protégées… qui aboutissent à d’autres échecs, comme des incendies par exemple. Il s’agit donc de renouer avec l’histoire de chaque lieu, favoriser le multi-usage du sol, qui devrait à la fois produire de la nourriture, mais aussi de l’eau propre, de la biodiversité et répondre aux nouveaux besoins de loisir d’une société urbanisée.
Les dégâts environnementaux sont apparus, et à un moment, il a été acté le fait qu’il fallait réorienter l’agriculture… mais sans aucune réflexion sur l’espace. C’est devenu le plan Ecophyto par exemple. Or se passer des phytos sur des parcelles de 150ha, ça ne fonctionne pas. Les agriculteurs, qui ne sont pas débiles, ne l’ont donc pas fait. Mais le pétrole, en 2050, on n’en aura plus ou très cher, et de toute façon, c’est le principal responsable du changement climatique. Donc il faut retrouver un modèle qui produit sans pétrole, ni intrant ni phytos, avec un sol vivant, des auxiliaires de culture, des ressources naturelles et locale. Changer de pratiques, redessiner les paysages de campagne pour diminuer la dépendance au pétrole, c’est un enjeu passionnant pour les jeunes générations. Pour cela, il faut impliquer aussi bien les populations agricoles, qui ont leurs compétences, que non-agricoles. Le paysage est un projet, il faut l’exprimer. Et oser parler de beauté, car c’est un besoin. Ou bien l’histoire de l’agriculture s’arrêtera.
Propos recueillis par Julie Reux (en marge du 2e colloque Vignoble et biodiversité à Avignon, en janvier 2024)