aviez-vous que nos ancêtres les gaulois… arrachaient déjà leurs vignes ? Si l’arrachage ne cesse d’être un sujet de revendication et de débats dans la filière des vins français en ce début 2024 (les prédictions de déclin de la consommation nationale laissant présager de déséquilibres accrus entre offre et production), cela fait 1932 années que le potentiel viticole hexagonal est géré par des à-coups d’arrachage. En 92 après Jésus-Christ, un décret de l’empereur romain Domitien ordonnait d’arracher 50 % du vignoble gaulois pour revaloriser les vignes transalpines et dégager des terres pour les cultures vivrières. Radical, l’arrachage imposé cherchait, comme toujours, à « raccourcir le temps viticole (celui de l’offre) pour coller au mieux au temps vinicole (celui de la demande), qui connaît des évolutions plus rapides et parfois imprévisibles [faisant de l’arrachage] depuis l’antiquité un axe important de l’intervention publique en viticulture » résume Patrick Aigrain, chef du service prospective de FranceAgriMer, dans sa préface du deuxième tome de l’ouvrage collectif Management et marketing du vin : comprendre les enjeux et les nouvelles opportunités pour la filière vigne et vin (éditions Iste, 2023).
Nouveaux défis, mais anciens remèdes alors que l’histoire se répète dans des cycles de crise, reprise, déprise... « Qu'on ne dise pas que je n'ai rien dit de nouveau, la disposition des matières est nouvelle » écrivait Pascal dans ses Pensées (1670). Autres temps, autres contrôles du potentiel de production viticole avec la gestion des plantations. Il y a 300 ans, Montesquieu signait un Mémoire contre l'arrêt du conseil du 27 février 1725 portant défenses de faire des plantations nouvelles en vignes dans la généralité de Guyenne. Propriétaire viticole, le baron de La Brède jugeait l’interdiction des plantations nouvelles « inutile : parce que le propriétaire sait, beaucoup mieux que le Ministre, si ses vignes lui sont à charge, ou non ; il calcule bien exactement ; et, comme la manufacture des vignes demande beaucoup d’avances, de frais et de soins, pour peu qu’elles ne rendent point, il est porté naturellement à les arracher, et à convertir sa terre en une autre nature de revenu, moins incommode. » Et d’ajouter que « défendre de planter en France, c’est encourager les autres peuples à le faire ».
De nos jours, le décret de l’empereur Domitien régulant de manière centralisatrice et despotique l’arrachage pourrait tenter ceux jugeant que la filière vin n’ose pas tirer les constats qui s’imposent collectivement et ne sait que reculer jusqu’à ne plus pouvoir sauter individuellement. Aujourd’hui, les propos de Montesquieu pourraient être ceux de partisans de la libéralisation du système d’autorisation de plantation nouvelle et de la responsabilisation des propriétaires de parcelles non-rémunératrices acculées à la diversification agricole. Alors, êtes-vous plutôt décret d’arrachage drastique de Domitien ou réplique libérale de Montesquieu ?