uvrage Vinique Non Identifié, In Vigna de Nicolas Lesaint (éditions Lys Bleu, 272 pages pour 22,20 €) se fait un malin plaisir à passer du coq à l’âne d’une page à l’autre. Auteur d’un blog par le passé et d’une BD en 2020, le directeur technique du château Reignac (Saint-Loubès, Gironde) partage des pensées instantanées, ses réactions à l’actualité et des réminiscences oniriques sans titre pour individualiser chaque entrée dans le livre. On lira ainsi les pensées d’une machine agricole abandonnée aux éléments et à de nouveaux occupants, le souvenir des premières pelletés marc au fond d’une cuve, une fable sur la maturité et la vanité, un pastiche des Fourberies de Scapin de Molière sur le thème du vigneron/courtier, une parodie de la chanson l’Homme pressé de Noir Désir sur le thème de la médiatisation des attaques du vin… Mais aussi des nouvelles émouvantes, comme celle prenant la place d’un travailleur espagnol dormant dans sa voiture, où l’assaut du chemin des Dames en 1917 revisitée par la dégustation… « Il pense à tout et à rien comme cela peut arriver lorsque l’on réalise un travail répétitif depuis deux mois » indique un chapitre sur un tailleur.
Mais le clou du recueil se trouve dans ses poèmes, comme les vers illustrant le rôle de passeur des vignerons recevant et transmettant plus qu’ils ne possèdent : « Un jour je vais partir…
Un jour je ne serai plus là…
Et derrière moi je laisserai partir le vin des vignes
Qui coulera encore dans les verres en rappelant à ceux qui m’ont connu
Qu’un jour je fus bien là. »
En prose, Nicolas Lesaint écrit également ce lien au temps long de la vigne et du vin : « j’ai vidé des bouteilles, j’en ai aussi rempli d’autres, passeur de messages, voyageur immobile créant un mouvement permanent amenant le minéral du sol à devenir corps humain, au soleil à nous remplir de lumière et à l’eau des rivières de créer la vie. » Et ailleurs : « Chaque journée un plaisir.
Chaque matin une lutte.
Chaque saison une ride.
Chaque millésime une histoire »
Si « une année passe, l’autre survient me faisant me sentir toujours isolé et démuni face à ce qu’on aurait pu tenter de prévoir. Alors je me refuse à trop anticiper l’avenir » écrit Nicolas Lesaint, revenant fréquemment sur la lutte vigneronne contre les aléas climatiques et les coups physiques et psychologiques que cela entraîne : « Il grêle, il grêle, il grêle, il bascule, il perd pied, il tombe, il pleure, il pleure, il hurle, il n’est plus là, il est dehors, il est trempé, il est dans ses vignes, dans ses rangs, dans son monde, dans son temps, il n’est plus là, il est à terre. » Car « la roulette, la peur, l’angoisse sont nos voisins, ils nous accompagnent chaque année, chaque printemps, chaque été, chaque automne. Mais on ne s’y fera jamais. »
Et malgré ces défaites, « on y va, on y retourne tout simplement parce que notre place est là-bas sur ce coteau, sur cette parcelle, sur ce terroir qu’on nous a transmis ou qu’on nous a demandé d’entretenir comme le faisaient tous ceux qui l’ont fait avant nous et parce qu’un être audacieux avait bien voulu un jour le défricher. »
Présentant ses écrits ce jeudi 21 décembre en fin de journée au château Reignac, Nicolas Lesaint explique à Vitisphere que « ce recueil regroupe des textes écrits sur les quinze dernières années. Ce sont des textes choisis et retenus au milieu d'autres pour leur côté personnel, affectif et pour moi marquants de moment de ma vie personnelle. » Dédié à sa fille, l’ouvrage résonne entre personnel et professionnel. Comme lors des vendanges : « à ma fille qui était là et qui touche du doigt l’engagement que son père lui a fait subir toutes ces années de septembre à octobre alors que petite, elle dessinait ma tête sur une feuille de papier pour la scotcher à table et faire un peu comme si j’étais là ».