En quatre ans, nos charges ont explosé de plus de 20 % alors que les cours du vin sont à la baisse. Cela devient très compliqué pour la survie de nombreuses exploitations, assure Anthony Bafoil, président de la coopérative de Lédignan, dans le Gard, qui regroupe 50 adhérents sur 620 ha. Pour le millésime 2023, nous espérons entre 100 et 120 €/hl en vin de pays d’Oc blanc et entre 85 et 90 €/hl pour le vin de pays d’Oc rouge. Compte tenu de nos rendements et de ces prix, le chiffre d’affaires moyen se situerait entre 3 000 à 3 500 €/ha pour un coopérateur. Or nos coûts de production dépassent 4 500 €/ha. Nous perdons donc au minimum 1 000 €/ha. Les vignerons qui ont des difficultés financières essaient de vendre leurs terres, mais ils ne trouvent pas preneur. Je redoute que notre région devienne une friche. La coop joue un rôle d’amortisseur social pendant les crises. Mais là, nous n’avons plus rien à donner. »
Anthony Bafoil s’appuie sur une étude que CERFrance Midi Méditerranée vient de réaliser pour la Coopération agricole Occitanie. Ce centre de gestion a passé en revue les coûts de production au vignoble d’un millier de vignerons coopérateurs d’Occitanie. Pour lui, ces coûts sont en hausse constante entre 2019 et 2023, période durant laquelle ils sont passés de 4 100 €/ha à 5 000 €/ha.
Comme les vignerons n’arrivent pas à les répercuter, « la majorité des exploitations ne sont plus rentables, soutient Ludovic Roux, le président de la Coopération agricole Occitanie. Pour absorber ces coûts, il faudrait vendre plus cher ou augmenter les rendements. Or, nous avons à nouveau une très petite récolte cette année et les prix sont bas. Nous subissons un enchaînement de crises dont les gens ne voient pas le bout. »
Premier poste de hausse : les frais de mécanisation se sont envolés de 38 %, atteignant 1 295 €/ha en 2023. Une progression qui s’explique par la hausse du prix du GNR et du matériel. « Le même tracteur que l’on achetait entre 45 000 et 50 000 € il y a cinq ans vaut aujourd’hui 80 000 € », constate Anthony Bafoil. Autre poste de hausse, la main-d’œuvre a bondi de 15 % en quatre ans – autant que le Smic – pour s’établir à 1 021 €/ha.
Toutes ces hausses mettent en péril l’avenir des exploitations. En effet, les vignerons réagissent en faisant d’énormes économies d’intrants. Alors que les prix des engrais et des phytos ont flambé (+177 % pour l’azote, +68 % pour la potasse, +175 % pour le glyphosate, +15 % pour le cuivre, etc.), le coût des intrants a légèrement baissé, passant de 810 à 793 €/ha en quatre ans selon CERFrance. Seule explication : les vignes sont passées au régime sec. « Nous avons le même niveau de coût d’intrants par hectare car nous avons baissé nos apports d’engrais, confirme Fabien Castelbou, vice-président des Vignerons Montagnac Domitienne, dans l’Hérault. Le problème, c’est que nous hypothéquons les futures récoltes. Les vignerons rognent aussi sur leur rémunération. Certains ne vont pas tenir. Surtout ceux dont la récolte a été amputée par la sécheresse. »
Les vignerons indépendants sont contraints de faire les mêmes coupes sombres. À Beaumes-de-Venise, dans le Vaucluse, Thierry Vaute est à la tête du domaine de la Pigeade. « Mes coûts de production ont augmenté de 23 % entre 2021 et 2022, relate-t-il. Sur les vins de pays, qui sont compliqués à vendre, je ne mets plus d’engrais ; c’est un tiers de mes surfaces. Je ne fertilise plus que les parcelles qui génèrent de la valeur ajoutée. » En revanche, il a réussi à économiser 10 à 15 % sur le prix du carburant grâce au groupement d’achats créé par la Fédération des vignerons indépendants du Vaucluse.
À Lunel, dans l’Hérault, Vincent Rouger est contraint aux mêmes décisions et ce, d’autant plus que la sécheresse a sérieusement impacté ses rendements en 2023. Ce vigneron de 26 ans, qui exploite 30 ha avec son oncle et son père, a divisé par quatre ses coûts de fertilisation pour descendre à 250 €/ha en réduisant ses apports et en passant d’un engrais organo-minéral haut de gamme à un compost. « Mes sols sont bien pourvus en azote, explique-t-il. J’ai diminué par deux mes apports de potasse. Avec l’engrais organo-minéral, je cherchais la performance. Maintenant, je pilote au plus juste. J’ai aussi économisé 15 % de phyto sur l’ensemble de l’exploitation. »
Pour compenser l’envolée des coûts, Thierry Vaute, qui commercialise 120 000 cols par an, a appliqué une hausse de 7 % sur toutes ses bouteilles début 2023. « Cela n’a pas trop impacté mes ventes, mais nous avons dépensé beaucoup d’énergie à expliquer cette hausse à nos clients, indique-t-il. Pour les particuliers, cette hausse n’a pas remis en question leur acte d’achat. Avec les professionnels, c’est plus compliqué, même s’ils sont compréhensifs. Nos acheteurs historiques ont accepté cette hausse. Mais nous avons été écartés de nouveaux marchés car nous étions face à des concurrents qui n’ont pas osé augmenter leurs prix. » Finalement, sa marge a baissé de 10 % entre 2021 et 2022, puis de 14 % entre 2022 et 2023.
Vincent Rouger a également relevé ses prix. Sur le millésime 2022, il a appliqué une hausse de 10 % à ses Bib et de 5 à 8 % à ses bouteilles. « Pour les vins de 2023, je suis tiraillé car le marché est tendu », précise-t-il. En attendant son revenu a baissé de 20 % pour la campagne 2022 car les augmentations qu’il a passées n’ont pas compensé, tant s’en faut, celles qu’il a subies.
Chez les coops, plus dépendantes du vrac, il est difficile, voire impossible, d’augmenter les prix. La solution passe par des économies d’échelle. Mais, dans de nombreux cas, elles ont déjà été réalisées. La cave de Montagnac s’est rapprochée successivement de quatre autres coops pour créer la cave des Vignerons Montagnac Domitienne. Elle rassemble 400 viticulteurs qui exploitent 2 400 ha. « Toutes les optimisations ont été faites, indique Fabien Castelbou. La situation des coops est également tendue. Là, on arrive au bout. »
De toutes les augmentations de prix, celle des bouteilles énerve particulièrement les vignerons. « On se demande pourquoi elles augmentent autant. On a peur d’avoir les réponses quand on voit les marges des verriers », commente Fabien Castelbou, vice-président des Vignerons Montagnac Domitienne. « S’ils avaient répercuté la hausse de leurs coûts de production avec quelques pourcents en plus, nous les aurions compris. Mais là, ils ne respectent pas la filière », ajoute Thierry Vaute, président des Vignerons indépendants de la vallée du Rhône.