ans le contexte d’une crise agricole croissante, entre Dermatose et Mercosur, les vignerons rejoignent les mobilisations de cet hiver pour manifester leur impatience et leur déception face au sous-dimensionnement du plan d’aide à la filière vin que vous avez annoncé au salon Sitevi. Entendez-vous cette colère montante ?
Annie Genevard : Les très grandes difficultés des viticulteurs, je les mesure depuis le premier jour de mon arrivée au ministère. À chacun de mes nombreux déplacements dans les terres viticoles, en Occitanie, à Bordeaux ou dans la vallée du Rhône plus récemment, j’ai entendu l’inquiétude de beaucoup de vignerons éreintés par la succession d’accidents climatiques et un marché atone. Plus que de la colère, c’est surtout le découragement que j’ai vu dans les yeux de jeunes vignerons et qui m’a serré le cœur. C’est pour faire renaître l’espoir dans les nombreux vignobles qui souffrent d’un manque de perspectives depuis des années que je me suis battue pour apporter les réponses les plus rapides et les plus adaptées aux demandes de la filière sous la forme d’un plan de sortie de crise cohérent, articulé autour de plusieurs mesures.
J’ai reçu tous les acteurs du secteur à plusieurs reprises au cours des derniers mois et lors de notre rendez-vous de bilan de vendanges le 6 novembre, la profession m’a demandé un soutien exceptionnel de 200 millions d’euros. Avec l’arrachage, la mobilisation espérée de la réserve de crise, les allègements de charges sociales et la dépense budgétaire liée à la garantie des prêts de consolidation, je vous laisse faire le calcul mais cela correspond au montant attendu par les professionnels. La crise de la Dermatose Nodulaire Contagieuse (DNC) et les grands enjeux nombreux qui se négocient à Bruxelles ne me font pas oublier l’urgence viticole.
Nous travaillons sans relâche avec la profession pour caler les modalités d’application des mesures d’aides annoncées dans le cadre du plan de sortie de crise afin de répondre aux besoins avec le maximum d’efficacité, car au-delà des montants mon souci est comment résoudre enfin cette crise. Évidemment l’absence de budget, que je regrette au plus haut point, va retarder sa mise en œuvre et décaler d’autant le soutien qu’attendent les vignerons.
Les 130 millions € annoncés par la France pour financer l’aide à l’arrachage définitif de 4 000 €/ha sont-ils actés pour permettre une campagne en une seule phase en 2026 ? Il existe une confusion sur un séquençage budgétaire de 60 et 70 millions € : qu’en est-il ?
Il n’y a aucune ambiguïté. Je vous confirme comme je l’ai annoncé à la filière viticole lors de l’inauguration du Sitevi que le gouvernement a décidé de consacrer une enveloppe de 130 millions de crédits nationaux à l’arrachage afin de poursuivre l’adaptation du potentiel viticole à un marché intérieur marqué par la déconsommation de vin, rouge notamment et aux difficultés d’exportation dans un contexte de vives tensions commerciales. Cet engagement sera tenu.
Les syndicats agricoles ont posé un ultimatum pour que l’arrachage soit ouvert avant le salon de l’Agriculture, ouvrant le 21 février 2026, est-ce tenable ? Et possible réglementairement alors qu’il faut la publication des actes délégués du paquet vin par la Commission ?
Les syndicats sont comme moi. Ils veulent que l’arrachage démarre le plus vite possible. Il faut que cela commence aussi vite que Bruxelles l’autorisera, ce qui suppose l’adoption préalable du Paquet vin [NDLR : des votes doivent se tenir au Conseil et au Parlement européens] et que la France se soit dotée d’un budget. Nous n’avons pas levé pour autant le stylo et nous travaillons en avance de phase pour que tous les paramètres soient calés avec la filière pour être prêts à démarrer à la première minute possible. Il importera d'être à la fois le plus efficace possible, tout en répondant à certaines inquiétudes émanant de certains territoires notamment sur l'avenir de ces vignes arrachées, ce qui suppose d'avoir une vision stratégique territoriale.
Avez-vous notifié officiellement à la Commission européenne la demande de distillation pour les vins français sur les fonds de la réserve de crise ? Avez-vous une réponse ? La filière demande 80 millions €, mais on entend parler d’une enveloppe possible de 40 millions € : qu’en est-il ?
La profession a sollicité la mise en place d’une distillation de crise exceptionnelle pour évacuer les surstocks anciens qui pèsent sur la santé des vignerons et des coopératives. La Commission ayant refusé de financer une mesure structurelle d’arrachage en mobilisant la réserve de crise conçue pour faire face à des difficultés conjoncturelles, la France, à mon initiative, a sollicité le déblocage des fonds européens de crise pour le financement de cette distillation.
N’oublions pas que nous sommes 27 États Membres, que l’agriculture souffre malheureusement dans de nombreux territoires européens et dans de nombreuses filières et que l’enveloppe annuelle de cette réserve est de 450 millions d’euros. 40 millions €, c’est le montant que la Commission a octroyé à la France en 2023 pour aider au financement de la précédente distillation, suite à la demande de mon prédécesseur [NDLR : Marc Fesneau, l’été 2023].
Notre demande fait l’objet d’échanges avec la Commission sur certains points techniques et j’espère que nous aurons vite une réponse favorable.
Cognac demande à la France de solliciter un soutien spécifique pour l’arrachage de 3 500 ha en compensation à la fermeture chinoise de son marché en rétorsion aux taxes européennes sur les voitures électriques. Que leur répondez-vous ? Ils estiment être oubliés alors qu’ils se sont démenés pour négocier des accords de prix en Chine et un système de Volume Complémentaire Cognac Individuel (VCCI).
Je ne crois pas que le cognac puisse un instant penser qu’il est oublié par le gouvernement. Ils savent l’énergie qui a été dépensée par l’État, aux plus hauts niveaux de responsabilité, pour desserrer l’étau dont les menaçait la Chine. Il y a quinze jours à peine, j’accompagnais le Président de la République à Pékin où je puis vous assurer que le Cognac était bien présent au menu des discussions diplomatiques. J’entends que l’interprofession de Cognac demande à pouvoir bénéficier des mesures de réduction de potentiel et je le comprends. La répartition de l’effort doit être discutée avec la profession, dans l’équilibre des besoins de chaque bassin de production.
Début janvier sont attendus les nouveaux prêts de restructuration des encours bancaires pour les caves particulières et désormais coopératives. Quel est le calendrier de mise œuvre prévu et sur quels nouveaux critères ? Quel est le bilan de l’année écoulée pour ce dispositif d’aide aux trésoreries ?
Nous avons besoin d'une disposition législative en loi de finances pour pouvoir prolonger en 2026 le dispositif de garantie de prêts, ainsi que pour l'étendre aux coopératives. Nous discutons en parallèle avec les représentants de la profession et le réseau bancaire pour adapter les critères et les plafonds pour que le dispositif atteigne bien sa cible. En 2025, la Banque Publique d’Investissements (BPI) a garanti des prêts à hauteur de 140 millions d’euros d’encours.
Le vignoble bout actuellement de demandes de juste rémunération de son travail, avec des projets d’évolution réglementaire d’Egalim ou d’autorisation par décret de création d’Organisations de Producteurs (OP). Allez-vous vous saisir de ces dispositifs en 2026 ?
Les demandes du secteur viticole sont bien entendu intégrées aux réflexions sur l’évolution d’Egalim. Le calendrier des travaux n’est pas encore fixé à l’agenda gouvernemental. S’agissant des Organisations de Producteurs, je suis ouverte à la préparation d’un décret pour autant que la profession en approuve collectivement les termes. [NDLA : les Vignerons Indépendants s’y opposant actuellement]




