e mois de juillet, vous alertiez sur le manque de réaction politique aux difficultés du vignoble : "on est en train de mégoter sur les moyens pour une crise sans précédent". Les choses ont peu évolué depuis…
Gérard Bancillon : Ce qui est dommage, c’est que si les cours ne chutent pas cette année, c'est uniquement à cause, ou grâce, aux aléas climatiques. C'est un truc de fou quoi. Avec l'absence de volume, on pense que les cours vont se maintenir. Mais ça veut dire qu'inexorablement, c'est encore une baisse de revenus du vignoble. Avec des prix identiques et des rendements plus faibles, ça induit des revenus en chute pour les hommes qui sont à bout. On est vraiment à une époque charnière, c'est une mutation de la filière et de la société aussi. Cette déconsommation structurelle, on la prend en pleine figure. C'est comme ça, et ce n'est pas faute de l'avoir dit. Mais ce changement de consommation, dû à des modes de vie différents et donc des changements sociétaux, il faut l'accepter. En revanche, nous, les responsables syndicaux de la filière, devons faire des propositions et articuler des réponses aux demandes.
Avec la petite récolte, les prix se stabilisent, et il semblerait même qu’en Languedoc les blancs vont augmenter un petit peu. C’est-à-dire que si en Languedoc on produisait 7 à 8 millions d'hectolitres, on aurait des prix qui finiraient par être rémunérateurs. En IGP, il nous faudrait des augmentations des cours de 30 à 50 euros l'hectolitre pour vivre dignement, pour retrouver un revenu et pour inciter les jeunes à s'installer. Dans tous les cas, il faut résoudre le problème actuel. Et quand voit les positions du commissaire européen à l’Agriculture, on voit qu'on est loin d'être arrivé.
Christophe Hansen, le commissaire européen chargé de l'Agriculture et de l'Alimentation, semble peu allant pour un financement européen de l’arrachage définitif, en actant les dissensions entre États membres (l’Allemagne et la France sont pour, l’Italie contre et l’Espagne demande des justifications) et privilégiant la conquête de marchés (l’Inde, le Brésil…).
Le commissaire Hansen reste droit dans ses bottes. C'est un discours qu'il a depuis le début. On avait quelques espoirs de voir nos collègues européens évoluer de la même façon que nous, mais ce n'est pas le cas, puisque chaque pays porte, grosso modo, une solution différente. Un comité franco-italo-espagnol se tient dans 10 jours à Rome, on pourra échanger là-dessus, mais en tout cas, c'est mal engagé. En sachant qu’il y a eu une enquête FranceAgriMer sur les besoins d’arrachage, dont on ne connaît pas les chiffres, mais il semblerait que les demandes soient plus importantes qu'en l'année dernière [NDLR : 22 000 ha demandés l’été 2024 et 25 000 ha arrachés en 2025]. Il va falloir trouver des solutions.
Sa proposition de conquête de marché à l'export est louable sur le fond, mais elle est complètement déconnectée de la réalité. Nos entreprises qui sont à l’export savent que chaque volume qui est conquis l'est au terme d’un travail de longue haleine. On ne va pas du jour au lendemain à l'export. Ça ne se décrète pas. Vu l'état de fatigue générale de la filière, je ne pense pas que les gens puissent attendre deux ou trois ans pour obtenir des résultats à l'export, si tant est qu'ils en aient un jour. Il y aurait un marché qui explose, ça se saurait. Bien entendu qu’il y a des destinations comme l’Inde qui évolueront, on l'espère, mais ça met des années. Le vignoble et les vignerons ne peuvent attendre autant. Je ne crois pas du tout à la conquête de marchés dans les dimensions que nous demanderait la crise pour la résorber, à hauteur de plusieurs millions d'hectolitres à l'export. L'ensemble des vignerons, coopératives et négociants mettent déjà énormément d'énergie, toute leur énergie d'ailleurs, à conquérir tous les marchés possibles et imaginables. Penser le contraire serait inconséquent.
Vous rejetez donc l’idée de Bruxelles de ne vouloir soutenir la filière vin que dans sa conquête de commercialisation, sans dépenser un euro pour son rééquilibrage volumique par un plan social organisé.
Dire effectivement que l'urgence, c'est de vendre plus de vin et ne pas en rediminuer la production, c'est passer sous silence l'urgence de la crise sociologique actuelle. Parce qu'il y a une urgence qui crève les yeux. On voit les chiffres des défaillances dans le Sud, dans le Sud-Ouest… Développer l’export prend des années, on a des gens qui ont des projections à la semaine, qui ne sont plus payés, qui ne peuvent pas attendre quoi que ce soit.
S’il n’y a pas de fonds européens pour restructurer le vignoble, il faudrait donc des fonds français ?
C'est difficile à estimer, puisqu'on n'a pas les surfaces de l’enquête de FranceAgriMer, mais s'il nous fallait 200 à 300 millions d’euros, on imagine difficilement l’État les sortir alors qu’il en est à reculer ses engagements dans l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO) de quelques centaines de milliers d'euros. Je ne sais pas où l’on va trouver 250 millions d'euros, alors qu'il les faut absolument. Pour ceux qui veulent partir et pour permettre aux autres de rester. Ce qui me fait le plus peur, ce sont les plus jeunes. Je suis président d'une cave coopérative, où malgré nos bonnes rémunération nous avons des jeunes qui sont très fragiles. Parce que les charges d'exploitation sont 50 à 80 % plus élevées pour eux que pour un gars qui a 50 ans (parce que du matériel, parce que du foncier, etc.). J'ai vraiment très peur pour eux. Et c'est valable dans l'ensemble du Languedoc et ailleurs : à Bordeaux, dans la Loire...
Le vignoble français a perdu 10 % de ses surfaces en 2 ans, jusqu’où est-ce que peut-il et doit-il descendre : 600 000 ha ? 500 000 ha ? Moins encore ?
C'est compliqué à estimer. Je pense qu'on est bien à 30 % de surproduction. Il y a 2-3 ans, vu les stocks que l'on avait, il fallait arracher à peu près 100 à 200 000 hectares. Le problème c'est qu'on a perdu des surfaces, mais pas les volumes qui fassent baisser la moyenne autant qu'on l’aurait voulu. Il s'est arraché les surfaces dont les volumes étaient les plus faibles et les moins rentables. Il ne faut pas penser en termes de surfaces, mais en termes de déconsommation.
La France produisait 45 à 47 millions d’hectolitres de façon récurrente. Aujourd’hui, on est à 36 millions hl et ça risque de devenir la norme. Parce que le vignoble est fatigué. Pour le Languedoc, on ne verra plus de grosses récoltes, parce que le végétal est usé. Tout le monde peut le comprendre dans des régions comme les Pyrénées-Orientales ou l'Aude, parce que vous avez des pluviométries qui ressemblent à celles du Sahara. Mais c'est aussi vrai dans les autres départements. Je suis dans le Gard, qui a une pluviométrie qui reste très correcte, mais avec la chute du prix des vins, les gens ont voulu garder une rémunération pour vivre et ils donc ont mis moins de moyens dans l'entretien du vignoble. Il y a des vignes qui sont quasiment à l'état d'abandon, alors qu'elles ne le sont pas. Leurs exploitants ne mettent quasiment plus d'engrais et très peu de traitements, parce que les marchands de phytos ne leur accordent plus de crédit et que les banques ne veulent pas les financer. Les gens qui ont plus de 50-60 ans ne s'imaginent pas faire autre chose, ils gardent des vignes qui ne produisent quasiment plus rien jusqu’à arriver à la retraite. Il y a autre chose, le Languedoc ne restructure que 1,5 % de son vignoble chaque année, alors qu’il faudrait refaire 4 à 5 % par an, donc le vignoble est cuit, il est essoré. Je pense que l'on ne verra plus de grosse récolte
Il faut que ça incite les gens à réfléchir sur l'avenir et le financement des Organismes de Défense et de Gestion (ODG). La perte moyenne des ODG est de 20 %. Ça va de quelques dizaines de milliers d'euros pour les petits ODG, jusqu'à plusieurs millions d'euros pour les plus gros. La semaine prochaine la Confédération des vins IGP va tenir un séminaire sur l'avenir avec des volumes à la baisse et donc des cotisations qui vont diminuer de façon drastique. Nous devons réfléchir à notre avenir commun, nous aurions dû le faire avant.
Le ressentiment viticole monte, avec des actions ces dernières semaines et une manifestation annoncée ce 15 novembre à Béziers : faut-il que le Midi devienne rouge de colère pour qu’il soit écouté ?
C'est un peu ça le problème. Je serai à la manifestation le 15 novembre, parce qu'il faut être uni. Et il n’y a pas un bassin viticole qui ne soit pas touché en France. Les doléances sont nombreuses, maintenant il faut aller au plus urgent, il faut trouver des budgets pour aider les gens à sortir du métier. Même si à 4 000 €/ha ce n’est pas suffisant. Notre rôle de dirigeant, c'est de tirer la sonnette d'alarme aux niveaux européens et français. Il faut qu'on pense à restructurer et optimiser notre filière en France : il va falloir rationaliser et optimiser les multiples strates et structures qui existent. Ce que la filière pouvait se permettre il y a une dizaine d'années, elle ne le peut plus. Il faut se serrer la ceinture. Très rapidement.




