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Filière vin, vois ton marché : "l’échec des deux distillations et de l’arrachage montre qu’on ne peut pas dépenser des millions sans un minimum de vision"
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Michel Chapoutier
Filière vin, vois ton marché : "l’échec des deux distillations et de l’arrachage montre qu’on ne peut pas dépenser des millions sans un minimum de vision"

Si "vous ne pouvez pas laisser mourir les vignerons comme ça" et qu'il faut arracher/distiller, "par contre, le refus de regarder le marché, c'est assez insupportable" analyse Michel Chapoutier, figure de la filière vin n’hésitant pas à mettre les pieds où il veut, souvent dans le plat, et parfois dans la figure. Tirant à balles réelles dans ce grand entretien, il dénonce les incompréhensions du marché qui pèsent sur le vignoble français. Gare aux températures de service des vins rouges, aux réticences à ajouter de l'eau aux vins, à la course à la prémiumisation, aux rapports entre AOC et IGP, aux stratégies de caves coopératives amenant aux petits prix en grande distribution, aux charges sociales françaises… Voici l’heure de leurs quatre vérités par le négociant et vigneron rhodanien, qui s’exprime ici à titre personnel, laissant de côté, sans totalement les oublier, ses présidences de l’AOC Hermitage, du négoce national (UMVIN), de la Convention collective nationale vins et spiritueux (CNVS)…
Par Alexandre Abellan Le 21 septembre 2025
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Filière vin, vois ton marché :
« N'oubliez pas, un négociant c'est un vigneron qui a réussi » lance Michel Chapoutier, adepte des phrases chocs. - crédit photo : M. Chapoutier
C

es vendanges 2025 se placent de nouveau sous le signe d’une très petite récolte en France. On parle déjà de petits rendements sur les blancs, peut-être de tensions sur les crémants. Est-ce que cela annonce de nouvelles tensions sur les marchés ?

Michel Chapoutier : C’est vrai, mais il faut encore le confirmer. On voit déjà des petites sorties sur les blancs, avec de petits ratio kg de raisin/hl de vin. La crise du vin aujourd'hui est plus une crise du vin rouge qu'une crise du vin blanc. Pour illustration, le côtes-du-Rhône rouge est à peine à 100 €/hl, quand le côtes-du-Rhône blanc arrive à 200 €/hl. Il y a 15 à 20 ans à Inter-Rhône, je disais qu’il fallait planter des blancs pour sauver les côtes-du-Rhône. À l’époque ça faisait marrer, on me disait que non, le côtes-du-Rhône c'est le rouge. Et aujourd'hui on paye notre incompréhension du marché. Ce qui est aussi vrai pour Bordeaux.

On voit bien qu’il y a une évolution du climat et aussi une évolution du marché. Il y a 30 ans avec un millésime comme 2025, on faisait un triple saut périlleux arrière en disant que "c'est génial, c’est un grand millésime où Parker nous donne des 100 sur 100". Mais aujourd’hui, le marché ne boit que des choses fraîches. Vous voyez les jeunes au restaurant qui disent "Ouf, 14°, oh là non, c'est trop". On s'est tellement battu pour juger un vin par son degré alcoolique que c’est ancré dans notre inconscient collectif. C’est aussi ce qui fait qu’on sert le vin rouge à température ambiante, mais qu’on ne le mettra pas dans un seau à glace, même dans des étés caniculaires !

On a créé notre propre snobisme qui est suicidaire

Pourquoi sacrifie-t-on nos rouges en les buvant trop chauds ? Les grands vins sont encore épargnés (pour combien de temps…), mais je suis un très grand défenseur de nos appellations régionales, comme Bordeaux, Bourgogne, Beaujolais, Côtes-du-Rhône, Languedoc… C'est vraiment là qu’on va défendre le métier du vin. C’est là qu’on doit avoir des vins qui convainquent les nouvelles générations. Quand vous entendez "j'aime bien le vin, mais je ne m'y connais pas", on a créé notre propre snobisme qui est suicidaire. Vous n’avez jamais entendu quelqu'un qui dire "j'aime bien la gastronomie, mais je ne m'y connais pas, donc je ne vais pas aller dans un restaurant". Tout le monde veut rêver d'être un grand cru, en oubliant qu'on a besoin d’un socle des appellations régionales, voire des vins de France. Ce n'est pas parce que vous allez à l'opéra que vous n’écoutez pas du disco. Dans la compréhension du marché, on a fait fantasmer tout le monde viticole pour aller faire du grand cru, en snobant le socle du marché.

 

Vous critiquez donc la tendance stratégique de la prémiumisation, de toujours plus monter en gamme au détriment d’une base de vins accessibles et modernes.

On n’a pas compris ce qu’est la prémiumisation : c’est comme quand on dit qu’il y a un segment des AOP ou des IGP. Le segment correspond à un positionnement prix, en face duquel on a un consommateur. Par exemple, il y a le segment des vins de moins de 3 € ou de 3 à 5 €. Et dans ces segments, il va y avoir des vins de toutes les catégories réglementaires ! Avec 95 % de la production française sous Indication Géographique (IG), la catégorie réglementaire n’est pas – n’est plus – un segment.

C’est pareil avec la prémiumisation : c’est une stratégie de montée en gamme, pour positionner un produit à un niveau de prix supérieur en créant une valeur perçue plus élevée pour le consommateur, parce qu’il associera le produit à la qualité, l’authenticité, le prestige ou une expérience enrichie. C’est très subjectif et ce n’est pas quelque chose qui se décrète, c’est un travail commercial. Et une politique malthusienne (par la baisse des rendements ou la restriction des plantations) n’est pas une politique de prémiumisation : en augmentant les coûts de production et les prix consommateur sans augmenter – de manière objective ou subjective – la valeur perçue par l’acheteur, alors on réduit les ventes, tout simplement.

La prémiumisation, ce n’est pas l'école des fans, ce n’est pas l'ascenseur social qu'on a voulu vendre à l'agriculture. Ça me rappelle l’objectif de 80 % d’une génération obtenant le bac. C’est pareil dans le vin : on a donné l'accès à l’AOC en disant que c’est le nirvana, mais quand on a enfermé des gens dans les AOC régionales, on leur a imposé des contraintes en les faisant rêver aux grands crus. On leur a enlevé de la liberté mais sans qu’ils trouvent une contrepartie valorisante.

L'appellation régionale, c'est le poumon de l'AOC. Et vous en arrivez à un système avec des libertés qu'on veut donner aux IGP, mais qu'on refuse aux AOP régionales. On ne veut pas créer ce socle de l'appellation régionale pour la faire respirer.

Ça ne va pas plaire aux gens des IGP...

Il y a actuellement des débats à Bordeaux avec le projet pour certains de créer une AOC Cru Bordeaux et une IGP Bordeaux Atlantique pour segmenter la production et dynamiser la commercialisation…

Pourquoi voulez-vous créer cette catégorie IGP quand vous refusez la souplesse dans l'AOP régionale ? Ça ne va pas plaire aux gens des IGP, mais revenons sur le développement des vins de pays IGP, à l'époque où les pays du nouveau monde étaient en train de monter. Le vin de pays IGP est né d'un handicap imposé aux vins de France : ne pas avoir le droit au millésime et au cépage. Ce n'est pas le marché qui a demandé l’IGP, ça lui a été imposé par les handicaps donnés aux autres catégories. On crée et développe le segment vin de pays IGP parce qu'on refusait à l'époque au segment vin de France l'outil marketing du cépage et du millésime. Je ne dis pas que l'IGP est inutile, mais que l'IGP vit aujourd'hui plus par une segmentation administrative que par des besoins de marché, par une vision administrative d’un tout IG au détriment des vins de France.

Attention, la réussite par exemple de Pays d'Oc est réelle. Mais aujourd'hui, on peut craindre une guerre quasiment fratricide, où l'IGP est en train de fragiliser l’AOP régionale. Il ne faudrait pas que le segment IGP contraigne les appellations régionales et disent : "vous êtes AOP, gardons aux IGP la souplesse de l'édulcoration et de la désalcoolisation, tout pour nous, pas pour les AOP". Mais est-ce que vous croyez que l'on peut imposer des contraintes sur les vins AOC quand on n'est pas capable d’en vivre ?

Les gens sont fatigués des vins qui demanderont bientôt un couteau et une fourchette pour les déguster

Pour vous, la filière vin se tire elle-même dans les pattes en sapant la construction d’une pyramide de hiérarchisation et valorisation.

Pas forcément consciemment. Mais quand on refuse les adaptations, combien de temps est-ce que cela peut tenir ? Je reviens sur l'histoire du degré alcoolique et de la température du vin rouge. Quand vous preniez un bordeaux ou un Bourgogne qui faisait 1,5° de moins d'alcool qu'un Côtes-du-Rhône, vous le serviez plus chaud pour donner l'impression qu'il y avait plus d'alcool et de qualité. On est allé chercher la concentration et le degré dans la même logique. Dans les années 1980, beaucoup d’AOC donnaient des vins un peu dilués. Ça a fait la gloire de certains journalistes qui sont allés défendre la concentration. Cela nécessitait une maîtrise, un savoir-faire en agronomie et en œnologie. Mais aujourd'hui, n'importe qui peut faire de la concentration, simplement par le degré alcoolique et grâce à l'évolution du climat. Puisque l'alcool est un solvant, vous avez naturellement une extraction plus poussée. De nos jours, les gens sont fatigués des vins qui demanderont bientôt un couteau et une fourchette pour les déguster. L'évolution du marché appelle à faire des vins toujours plus dans la finesse et l'équilibre, pas dans la concentration. Ça veut dire qu’il faut se décontracter sur le principe de l'irrigation.

Une désalcoolisation, c'est criminel au niveau du bilan carbone

Cette rentrée, l'événement viticole aura été le départ de l’AOC Pomerol du château Lafleur pour s’adapter au changement climatique, notamment par l’irrigation. Concernant l’apport d’eau, vous ne vous arrêtez pas au vignoble, étant un défenseur de l’ajout d’eau dans le vin : le coupage, comme en Australie.

Pour moi, ça s'appelle la réhydratation. C'est un vrai sujet. Prenons l’exemple du grenache. Si vous voulez avoir des tanins polymérisés, vous allez devoir chercher une maturité phénolique et dans des années sèches, vous allez monter à 14,5 ou 15°.alc. Ce qui va fragiliser nos côtes-du-Rhône, Languedoc ou Roussillon qui vont se retrouver dans des segments que le marché ne veut plus. Dans la recherche de maturité, quand le grenache est à 13°.alc, le tanin ne donne pas un vin qui va être très intéressant. Avec la maturité phénolique, je vais perdre par concentration et évaporation 6 à 7 hectolitres par hectare facilement. Je pars du principe que la réhydratation de cette eau perdue par concentration a du sens, sur le plan de la qualité du vin comme pour la préservation économique des exploitations.

J'espère que l'INAO va un jour se poser cette question et créer un groupe de travail pour expérimenter. Dans le temps, puisque le degré alcoolique c'était la qualité, si je mettais de l'eau, je tuais la qualité. Mais là, je suis dans une réhydratation de ce que j'ai perdu par évaporation. Au lieu de ça, faire une désalcoolisation par osmose inverse, c'est criminel au niveau du bilan carbone, aussi bien par l’eau qu'on élimine que par l'énergie que l'on dépense.

L’expérience a été faite par l’Institut Rhodanien et à Bordeaux de comparer désaccharisation, désalcoolisation et réhydratation. Systématiquement, et de très loin, le résultat le plus qualitatif est obtenu par la réhydratation. Vous avez des ayatollahs, qui heureusement sont plus proches de la retraite vu leur âge, qui sont contre, à cause de l’inconscient collectif. Dire par principe que "jamais on ne mettra de l'eau dans le vin" comme je l’ai entendu, c’est dire "je préfère que le vin meure, mais que l'on ne touche pas au dogme du vin". Moi, je préfère que le vin vive, plutôt que de laisser crever les vignerons par de tels dogmes historiques. Des vignerons disparaissent entre autre parce qu’on refuse l'adaptation au nom d’un dogme. Les appellations régionales peuvent très facilement faire des vins à 15°, mais qui en veut aujourd'hui ?

L'AOC était un principe de génie et il n'est pas mort

Alors que le concept d’AOC fête ses 90 ans, comment ne plus être dans "l'école des fans" que vous critiquez ?

Il faut accepter le principe que le socle de la pyramide des AOC, c'est l'appellation régionale. C'est le poumon de l'AOC qui vit par sa souplesse et son adaptabilité. Il faut que l'on arrête de sanctionner les appellations régionales en donnant seulement la liberté aux IGP. Le principe de l'appellation d'origine contrôlée était un principe de génie et il n'est pas mort, il a toujours un grand futur. Ce qui aujourd'hui biaise notre compréhension du marché n'est pas le principe de l’AOC, c'est l'inconscient collectif que la qualité était dans la puissance alcoolique. Vous ne mettez pas de l'eau dans du vin, vous ne mettez pas une bouteille de rouge dans de la glace… Toute cette sensation d'alcool, elle vient de là. Alors que dans les spiritueux, ils ont compris que l'on pouvait faire des long-drinks. Regardez les cognacs relancés par les cocktails : ils ont pris une distance vis-à-vis de ce dogme de l'alcool = qualité.

 

Pour l’avenir des AOC, vous prônez donc la libéralisation, ce qui passerait par un allégement des contraintes, mais aussi l’écartement de toutes nouvelles obligations ? Est-ce pour cela que l’UMVIN attaque devant le Conseil d’État le nouveau cahier des charges de l’AOC Graves pour son obligation d’étiquetage d’un identifiant commun dès le millésime 2026 ?

Ce n'est pas une question de contrainte, c'est une question purement philosophique. Vous avez toujours eu en France ce principe du service public contre le service privé pour l’hôpital, l’école... Dans le même esprit, on va toujours vous expliquer que la marque collective est infiniment mieux que la marque individuelle. On rêve de collectivisme… On voit régulièrement l’attaque de la marque individuelle sur le principe de la défense du collectif. On a besoin du collectif. Mais n'oublions pas que ce sont les marques individuelles qui sont les locomotives du train des AOC. Et pas le contraire. L’exemple du classement des grands crus à Bordeaux en 1855 ou les marques de Champagne sont là pour l’illustrer.

Dans le cas de l’AOC Graves, on commence à dire que la marque individuelle doit courber l'échine sous la marque collective. On verra ce que donnera le jugement. Mais avec cette approche, que va-t-on dire après, qu’en Alsace, on est obligé de mettre de l'écriture gothique ? Ce sont les services marketing qui sont les garants de la réponse à la demande du marché pour l'habillage, pas une assemblée de sages ou d'anciens dans un Organisme de Défense et de Gestion (ODG). L’AOC est là pour défendre l'intégrité du produit : que l’on n'aille pas toucher à l'habillage qui est la réponse d’adaptation à la demande du marché.

Vous avez en France cette lutte pour systématiquement prétendre que le service public est le meilleur. A l’INAO, j’ai toujours apprécié les interventions de Jean-Marie Barillère, qui a toujours alerté sur la création d’appellations qu'aucun consommateur ne connaît. Ce n'est pas, ça ne devrait pas être, une volonté politique qui crée l'appellation mais la reconnaissance d’un différentiel. La logique de l'appellation était tirée à l'origine de son identification par le consommateur. C’est ça, la notoriété : c’est la mesure du fait d’être connu, qui fait que les consommateurs acceptent d’acheter un peu plus cher parce qu'ils préféraient le vin de cet endroit. Vous voyez la manière dont on est capable de faire les choses à l'envers quand le politique veut agir à la place du marché.

Sur le marché français, le but serait de baisser de 10 % la part de la grande distribution

Pour les vins AOC, le marché est actuellement très brutal. Comme on le voit dans les foires aux vins avec une dévalorisation et une démonétisation des bouteilles de bordeaux, de côtes-du-Rhône… Avec des prix complètement en dessous des coûts de revient et des marges d’intermédiaires.

Vous avez un marché en difficulté, donc des gens déstockent et la grande distribution propose de porter ce déstockage. Je ne sais même pas si on peut dire qu'elle en tire profit ou qu'elle se dit qu’elle est solidaire, mais c'est à tel prix. Il est regrettable que dans le cadre du plan de filière nous n’ayons pas osé dire que, sur le marché français, le but serait de baisser de 10 % la part de marché de la grande distribution en 10 ans. Je suis convaincu que la grande distribution serait d'accord pour rentrer dans une logique de valorisation : vendre moins de vin mais les valoriser plus. Leur travail sur le fromage est très intéressant. Qu'on développe les autres segments, l’œnotourisme, les cavistes, les restaurateurs, etc. Les autres marchés doivent revivre.

Mais il faut se demander comment se sont passé ces déstockages. Il va falloir qu'on se repose la question de l'apport total des coopératives et des groupements de coopératives. Quand vous voyez des concurrences malsaines entre coopératives voisines pour attirer des adhérents, on a l'impression d'avoir la Jument verte de Marcel Aymé ou la Guerre des boutons de Louis Pergaud. Une coopérative qui n'a pas investi va dire mais "moi je ne te prends que 30€ de frais de vinification alors que la tienne te prend 60". Elle en tire profit en période de vaches grasses quand le marché est porteur, parce qu’elle attire des gens qu'elle va rémunérer plus, parce qu'elle n'a pas investi. Mais elle va sanctionner et blesser la coopérative voisine vertueuse qui a fait les investissements nécessaires pour rester dans le marché. Il faudrait rétablir le principe fondateur de l’apport total pour éviter les concurrences fratricides. Et se poser la question des achats des coopératives ou de leurs unions à des tiers, faisant d’elles des négociants qui ne le disent pas.

Je suis un vrai fervent défenseur du système coopératif. C'est mon côté social-libéral pour le mutualisme, la réponse entre le capitalisme outrancier et le communisme ringard. On voit bien que les outils coopératifs sont extrêmement performants et répondent le mieux possible au marché de demain. Mais pour ça, il ne faut pas qu'elles se sabordent entre elles. Moi qui suis président d'ODG et élu du négoce, j'ose le dire : sur Tain l'Hermitage nous avons probablement l’une des trois meilleures coopératives de France, qui a démontré son niveau qualitatif et qui vit très bien par son principe d'apport total. On a aussi l’exemple du groupement de coopératives des Vignerons Ardéchois qui survole la crise car depuis le début il est en apport total. On a besoin de ce système coopératif qui est un économique de social-libéralisme, que la France a des fois du mal à comprendre,

Je suis ouvert à tout mais que ça s'applique à tout le monde

Dans cette vision sociale libérale, quelle est votre position sur la révision d'Egalim pour créer un tunnel de prix sur le contrat amont, qui n’est pas un prix minimum, mais vise un prix rémunérateur.

Commençons par faire respecter la loi sur l’apport total, puisqu'à chaque fois ce sont des groupements de coopératives qui, pris à la gorge, ont dû déstocker des vins à vil prix et que la grande distribution était là pour dire "je n’ai pas de marché, on va essayer de le trouver par le prix". Au détriment des coopérateurs qui se voient réduire les prix a posteriori…

Reprenons le principe de la spirale descendante : c'est au niveau de l'offre que l'on regarde le marché. Je suis ouvert à tout mais que ça s'applique à tout le monde. Vous ne pouvez pas dire que l’on va faire un prix minimum, mais qu’il ne va pas s'appliquer à la production. Si vous mettez un prix minimum au négoce, il faut que votre fournisseur le respecte. Dans le cadre de mes mandats, j'ai été témoin d'opérations volumétriques de maisons de négoce qui achetaient une année à un groupe coopératif 50 000 hl de vin d’appellation régionale à 120 €/hl. Et l'année suivante, le groupe coopératif en question allait directement vendre à 90 € ce vin au client du négociant. Ce groupement de coop détruisait d’elle-même 30 €/hl, qui ne viendront pas rémunérer les coopérateurs. Il faut que l’on ait une certaine discipline et que l'on travaille main dans la main.

Dernière chose, le prix doit trouver son consommateur. On peut mettre en place tout ce qu’on veut, mais le juge de paix est et restera le consommateur. Je crains qu’on l’oublie un peu trop. Il faut développer les segments valorisants comme les cavistes, l’œnotourisme et la restauration.

L’échec des deux précédentes distillations et de l’arrachage montre qu’on ne peut pas dépenser des millions sans un minimum de vision

En termes de pilotage collégial de la filière, soutenez-vous la demande du vignoble de débloquer 200 à 250 millions € des réserves de crise européenne pour financer l’arrachage et la distillation.

Il faut faire quelque chose. Vous ne pouvez pas laisser mourir les vignerons comme ça. Mais l’échec des deux précédentes distillations et de l’arrachage montre qu’on ne peut pas dépenser des millions sans un minimum de vision. Personne ne pourrait le comprendre ni l’admettre, surtout dans la période actuelle.

Le refus de regarder le marché, c'est assez insupportable quand même. En 25 ans, la France a divisé par deux ses parts de marché dans le monde du vin au profit de ses deux principaux concurrents, Italie et Espagne. En refusant de voir l'évolution du marché, on a donné des parts de marché aux autres... L'enjeu – vital - c'est d'aller répondre à la demande du marché. Il y a quelques années, j'ai proposé dans les Côtes-du-Rhône de faire un vin rouge plus léger en couleur et en alcool : la réponse a été "ce n’est pas le négoce qui doit faire des propositions, c'est l'ODG qui gère". Moralité, ils ont augmenté d'un point le degré minimum et l'intensité colorante. On a fait le contraire de ce que demandait le marché. Aujourd'hui, ils disent avoir compris. Oui, mais vous avez laissé passer les trains. Je vois nos collègues européens qui sont déjà sur les rouges plus légers qui se servent frais, et ils n’ont pas fait des entrées de gamme, ils font des produits chers. Et en France, ces vins "glouglou" sont des vins de France.

Si on fait le ménage sur nos 100 % de charges sociales, alors on sera mieux armés pour faire face aux 15 % de taxes US

Le sujet européen actuel concerne les taxes Trump qui n’ont pas été évitées pour les vins et spiritueux. Faut-il une mesure de compensation pour la filière ?

On parle de +15 % de droits de douanes et +15 % de dévalorisation du dollar. On voit des importateurs et surtout des distributeurs qui font pression pour baisser vos prix. Mais il est hors de question de baisser les prix ! On est en train de parler de 15 % de taxes aux États-Unis quand on a 100 % de charges sur les salaires en France. Quand je donne 3 000 € à un salarié en France, je donne 3 000 € à l'État. Aux États-Unis, quand on donne 3 000 € à un salarié, on donne 300 € à l'État. Vous allez avoir des aides aux entreprises en France, du genre 10 % d’abattement de charges. On va vous dire que c'est un cadeau à l'entreprise. Mais 2 700 €, c'est quand même 9 fois de plus qu’aux États-Unis. Alors que dans la pensée collective, on va vous dire que ce sont des cadeaux faits aux entreprises. Si on fait le ménage sur nos 100 % de charges sociales, alors on sera mieux armés pour faire face aux 15 % de taxes US.

 

Pour vous, les taxes Trump seraient un épiphénomène pour la compétitivité des vins français, par rapport à l’enjeu de fond de son modèle fiscal et social ?

La France est le pays le plus taxé au monde. Ce qui est le plus douloureux, ce sont nos charges internes qu’on s’impose, et pas seulement sous forme de taxes. Le Rapport Draghi sur la compétitivité a un an, on n’a toujours pas commencé à le mettre en œuvre ! Par démagogie, on ne veut pas s’occuper des vrais problèmes. Et pourtant, il ne tiendrait qu’à la France, qu’à l’Union Européenne de faire les simplifications qui nous redonneraient des marges de manœuvre, notamment face à des mesures comme les taxes américaines. J'espère que les pouvoirs publics vont regarder ce problème sérieusement, car en pénalisant les entreprises, on pénalise aussi les relations amont-aval, les emplois.

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