’« il faut que tout change pour que rien ne change », comme l’écrivait Giuseppe Tomasi di Lampedusa, alors il faut que toute la production de vin évolue selon sa nouvelle consommation pour que le vignoble actuel perdure. « L’ancien monde n’est pas encore totalement mort et le nouveau n’en est qu’à son commencement. C’est cet entre-deux qui est compliqué » résume dans son rapport moral Olivier Nasles, le président du Syndicat des vins des Coteaux d'Aix-en-Provence (4 444 hectares en production), lors de son assemblée Générale ce 19 juillet. Pour la figure des vins bio, « nous sommes en fait le "cul" entre deux chaises ; d’un côté, nous sommes profondément attachés à l’ancien monde, celui des Appellations d’Origine, celui du Terroir, du Cru sauf que ce monde est en train de s’effondrer, certes lentement, au rythme des décès des "plus de soixante ans", mais ayez en tête que chaque fois que l’un de nous disparaît, il faut entre 8 et 10 "trentenaires" pour le remplacer ! De l’autre, nous voyons bien que nos produits séduisent ces nouvelles générations par des codes différents, le plaisir, la simplicité, ils ne boivent pas du vin, ils boivent du rosé. »
Spécialisée dans les rosés (86 % des 240 000 hectolitres de vin produits en 2022), l’AOC des Coteaux d'Aix-en-Provence n’est pas épargnée par la déconsommation : tout au plus est-elle moins touchée que les vins rouges (de Bordeaux, de la Vallée du Rhône…). De janvier à juin 2023, les sorties de chais sont en repli de 6 % (117 000 hl), pour des transactions de vin en vrac diminuant de 8 % (à 104 000 hl) et des ventes en grande distribution chutant de 10 % (15 000 hl). Si l’export augmente de 3 % (à 52 000 hl), le volume disponible à commercialiser bondit de 12,5 % (à 239 000 hl). Commercialement « cette année 2023 est celle du faux-plat descendant, nous avions pris l’habitude de monter les cols à vive allure et d’un coup, la route s’incline. Est-ce le prélude à la descente ou un temps de respiration avant une reprise de la montée ? » pose Olivier Nasles. Pour le président du Comité National de l'Agriculture Biologique de l'Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO), « le monde du rosé vit la même chose, au même moment, que ce que vit l’Agriculture Biologique. Et pour moi qui ait un pied dans chacun de ces deux mondes, j’apporterai la même réponse, ce faux-plat nous permet de reprendre notre respiration avant de repartir vers les sommets ! »
Soulignant que la filière des vins de Provence mute (en dix ans, les investisseurs stars et les groupes du luxe ont afflué, les ventes à l’export ont quintuplé, les prix moyens doublé, les ventes en grandes surfaces françaises ont été divisé par deux…), Olivier Nasles estime que la « filière provençale est dans une phase de réorganisation, la progression que nous venons de vivre depuis dix ans est un peu partie dans tous les sens, il nous faut donc poser un temps les valises pour réfléchir. » Si les investissements d’un Moët Hennessy/Pernod Ricard ou d’un Brad Pitt/George Clooney mobilisent les attentions, la réalité économique de certains opérateurs est moins glamour. « Certains d’entre vous m’objecteront : "je n’ai pas tout vendu ! J’ai 10, 20, 25% de ma récolte 2022 en cave !" Effectivement, nous allons probablement finir l’année avec 30 à 40 000 hl de stock de rosés 2022 soit 15 à 20% de notre production, c’est un signal d’alerte qu’il faut prendre au sérieux » pondère Olivier Nasles.


Qui a demandé au conseil d’administration de l’Organisme de Défense et de Gestion (ODG) s’il fallait réduire les rendements (comme l’a fait l’AOC Côtes du Rhône) ou instaurer une réserve interprofessionnelle (mise en place par l’AOC Coteaux Varois). Des propositions rejetées. « Nous avons fait le pari que 2023, cette année de "faux-plat", était une année de transition avant la reprise de notre ascension. C’est un pari et peut-être que l’an prochain, je vous dirai que nous avons fait une erreur, mais nous n’avons pas voulu prendre le risque de mettre le marché en surchauffe » explique Olivier Nasles, qui croit résolument dans l’avenir : « soyons optimistes pour nos rosés, ils le valent bien ! »