la demande de l’interprofession des vins de Bourgogne (BIVB), l’Institut Français de la Vigne et du Vin (IFV) a mené une enquête sur les pratiques d’entretien des sols dans cette région et déterminé leur impact environnemental. Émilie Adoir, et Hugo Luzi, ingénieurs en évaluation environnementale au sein de l’IFV, se sont chargés de ce travail. « Nous avons collecté les données sur vingt-deux domaines. Au total, nous avons étudié neuf modalités d’entretien des sols, les principales étant le désherbage chimique en plein, le travail intégral du sol, l’enherbement dans l’interrang combiné au désherbage chimique sous le rang, et l’enherbement dans l’interrang associé au travail mécanique sous le rang. Parmi les parcelles enherbées, certaines l’étaient totalement, d’autres seulement un rang sur deux », détaille Émilie Adoir.
Les deux ingénieurs se sont ensuite intéressés au bilan carbone de ces différents itinéraires. Grâce à leur outil de calcul GES & VIT, ils ont quantifié pour chaque modalité les émissions et le stockage du carbone, en kg de CO2/ha/an. Pour ce faire, ils ont pris en compte nombre de facteurs : la consommation de carburant, la fabrication et le transport des tracteurs, des outils, des herbicides, des semences, des engrais et même le déplacement de la main-d’œuvre.
Selon leurs calculs, « l’enherbement naturel dans l’interrang associé au désherbage chimique du rang est la modalité qui a le bilan carbone le plus bas, avec un stockage de 193 kg de CO2/ha/an », rapporte Émilie Adoir. Toutes les autres modalités aboutissent à une émission nette de carbone : 78 kg de CO2/ha/an avec le désherbage chimique total, 275 kg de CO2/ha/an avec le désherbage mécanique, et 434 kg de CO2/ha/an pour les vignobles avec enherbement de l’interrang et désherbage mécanique des rangs.
Le fait que le désherbage mécanique engendre une forte émission de carbone est un résultat sans surprise pour Nicolas Richarme, président de SudVinBio. « Le travail mécanique doit être raisonné, afin de limiter le nombre de passage du tracteur, argumente-t-il. Cela passe par un repos des sols en hiver, un investissement dans des tracteurs récents et peu polluants, et l’utilisation d’outils purement mécaniques. Les outils à dents sont beaucoup plus écologiques que les outils animés, gourmands en carburant et en huile hydraulique. »
Thomas Bouley, président de l’ODG de Volnay qui prône une interdiction, dès 2025, des herbicides dans les parcelles en 1er cru, se dit lui aussi pour « un labour raisonné. » « Tous ceux qui désherbent ont une empreinte carbone, avance-t-il. Elle est certes plus ou moins importante, mais l’arrêt des herbicides est aussi une question de santé publique. »
Lors de leur enquête, les deux ingénieurs ont constaté non seulement que les pratiques sont très diverses, mais aussi qu’elles sont difficilement comparables. Au sein de leur échantillon, les exploitations qui combinent enherbement et désherbage mécanique sous le rang effectuent pour entretenir leurs vignes huit passages par an, quand celles qui combinent enherbement et désherbage chimique n’en font que quatre. Des différences davantage liées à l’organisation des exploitations qu’inhérentes aux techniques retenues.
Afin de comparer au mieux les modalités, Hugo Luzi et Émilie Adoir ont réitéré leurs calculs en fixant certains paramètres – nombre de passages, puissance de tracteur, densité de plantation – pour quatre itinéraires : tout chimique, tout mécanique, enherbement naturel un rang sur deux, enherbement naturel dans tous les rangs et, dans ces deux derniers cas, désherbage mécanique des rangs. Pour compléter leur exercice, ils ont considéré dans chacun des quatre cas que la pousse de l’herbe pouvait être faible, moyenne ou forte.
Les résultats se révèlent alors bien différents. Pour une pousse moyenne de l’herbe, le bilan carbone de la modalité 100 % chimique est de 76 kg de CO2/ha/an, celui du tout mécanique est de 339 kg de CO2/ha/an et celui de l’itinéraire qui combine entretien mécanique des rangs et enherbement naturel de tous les rangs est de - 104 kg de CO2/ha/an.
Dans ce dernier cas, « la capture de carbone dans le sol par la bande enherbée est supérieure aux émissions de CO2 liées : on stocke 104 kg de CO2/ha/an », explique Émilie Adoir. Un résultat obtenu en considérant que l’enherbement naturel produit 1,5 t de matière sèche (MS) par hectare et par an. Et pour une pousse forte de l’herbe (3 t de MS/ha/an), les calculs indiquent un stockage de 436 kg de CO2/ha/an avec l’enherbement naturel des rangs et le désherbage mécanique des interrangs. Les vignes pourraient donc agir comme des puits de carbone.
Nicolas Richarme émet quelques réserves à ce sujet. « Un enherbement trop important pose des problèmes de concurrence hydrique, souligne-t-il. S’il faut irriguer la vigne l’été pour compenser cette concurrence, la démarche n’a pas de sens. »
Le bilan carbone n’est qu’un aspect de l’impact environnemental du désherbage. Les ingénieurs de l’IFV ont également étudié les émissions de particules fines occasionnées par ce travail ainsi que son écotoxicité pour l’eau douce. Ils observent que les émissions de particules fines sont directement liées au nombre de passage de tracteur et à la consommation de carburant. Elles sont les plus faibles avec le désherbage chimique et les plus élevées pour ceux qui combinent enherbement naturel et enherbement semé. En revanche, c’est bien le désherbage chimique qui a le plus fort impact sur l’eau.
Reste que l’entretien du sol pèse peu. « À l’échelle du cycle de vie complet du vin, [il] ne représente qu’environ 5 % des impacts totaux, rappellent les auteurs de l’étude. Les principaux postes contributeurs à l’impact environnemental [sont] la fabrication de la bouteille en verre et l’expédition du vin. »
L’IFV a mis au point GES & VIT, un outil de calcul de l’empreinte carbone, accessible en ligne à condition de souscrire à une licence annuelle. Cette application permet aux vignerons de réaliser un diagnostic de leurs émissions de gaz à effet de serre, depuis la production du raisin jusqu’à la mise en bouteille. Il suffit pour cela de renseigner votre itinéraire technique, le matériel utilisé, la densité de plantation, et l’outil estime de façon automatique les émissions de CO2 en kg/ha/an. L’objectif est simple : pouvoir identifier les itinéraires représentant le plus d'émission de gaz à effet de serre et, si possible, les réduire en mettant en place des stratégies alternatives.