vec 150 ha de vignes, Bucelas compte parmi les plus petites appellations du Portugal. Elle partage ce titre avec Carcavelos et Colares, ses voisines. Ce vignoble commence à moins de 25 km de Lisbonne, la capitale, sur les coteaux crayeux-argileux qui surplombent le Trancão, un affluent du Tage.
Créée en 1908, Bucelas compte aussi parmi les plus vieilles appellations du Portugal. Son existence doit beaucoup à João Camilo Alves, un barbier qui se fera vigneron en 1900, puis marchand de vins à Lisbonne, contribuant ainsi à sa renommée. Aujourd’hui, la demeure de ce pionnier a été transformée en musée tandis que ses anciens chais sont aux mains du groupe Enoport United Wines.
Bucelas ne produit que des vins blancs et quelques effervescents, principalement à partir d’un cépage, l’arinto, qui couvre 75 % des plantations. Le reste est partagé entre le sercial et le rabo de ovelha (queue de brebis). Ces cépages sont les trois seuls autorisés. Dans la région, on trouve aussi quelques rares parcelles plantées en rouge, principalement en touriga nacional, revendiquées en IG Lisboa.
L’arinto donne des blancs de garde vifs étonnants, aux arômes tropicaux et d’une robe citron quand ils sont jeunes. En vieillissant, ils gagnent en rondeur et perdent l’acidité métallique qui fait leur caractère, si bien qu’ils se boivent très bien après quinze ou vingt ans. « Après fermentation, les vins renferment environ 6,5 g/l d’acidité totale. On est dans un univers très minéral », décrit João Vicêncio, œnologue de la Quinta do Boição.
Cette propriété du groupe Enoport possède 36 ha de vignes et 21 de ses 22 ha de blancs sont plantés d’arinto. La vinification des blancs est classique. « On commence par un débourbage à 8 °C durant 48 heures, ajoute João Vicêncio. Puis le moût fermente autour de 14 °C durant un mois. Je ne place qu’une infime partie du vin en barrique car je ne cherche pas à rajouter de la complexité à ce vin au caractère bien trempé ». Enoport écoule sa gamme Réserve au bout de deux ans d’élevage en cuve inox et sa gamme Grande réserve au bout de 3 ou 4 ans.
João Vicêncio, œnologue de la Quinta do Boição (crédit photo Marie-Line Darcy)
Chez Quinta da Murta, un domaine voisin, la vigne couvre 14 ha. Franck Bodin, son propriétaire français depuis 2012, y pratique une viticulture raisonnée. « Nous n’utilisons que les levures naturelles et la fermentation dure trois semaines minimum. Bien qu’équipé d’un système d’irrigation on ne l’utilise pas car l’océan nous apporte assez d’humidité. Et en été, les températures élevées empêchent la prolifération des maladies. On évite ainsi le recours aux pesticides », explique Vera Ferreira, qui coordonne l’exploitation.
Quinta da Murta décline l’arinto dans une gamme judicieusement dénommée « The Wine of Shakespeare » en hommage au célèbre dramaturge britannique qui mentionne le vin de Charneco, un village voisin de Bucelas, dans l’une de ses pièces. Cette propriété produit 90 000 bouteilles dont 15 000 de mousseux. S’y ajoutent 40 000 bouteilles issues d’achats de vins.
À quelques kilomètres de là, le domaine Chão do Prado se dirige vers le bio afin de préserver ses sols pauvres. Duarte Paneiro Pinto est la cinquième génération de vignerons, descendant de João Camilo Alves, le visionnaire. Il a décidé de poursuivre le travail de son père, Antonio Paneiro Pinto. « Je produis à l’ancienne, soutient ce dernier. Je ne fais pratiquement jamais appel aux laboratoires. J’estime l’acidité et le sucre en goûtant le raisin. J’interviens le moins possible sur les vins et les sulfite peu. Je ne les passe pas au froid pour précipiter le tartre afin de pouvoir les vendre dès janvier. Je suis leur rythme. »
Chão do Prado comprend un restaurant au beau milieu des vignes où les Pinto écoulent leurs vins. Ces derniers ont également construit une terrasse pour organiser divers événements et dégustations de vin. En octobre, ils produisent l’unique vendange tardive de la région en ramassant des raisins atteints de pourriture noble.
La viticulture biologique, c’est aussi le pari que fait Paulo Alves sur sa propriété de Quinta Casal da Cruz. Entre les rangs de vigne, Paulo sème des fèves, de l’avoine et du seigle qui viennent enrichir le sol argilo-calcaire. Ses parcelles sont bordées de haies et d’arbres afin de conserver la biodiversité. « Nous trions les grappes à l’entrée de la cave. Après un pressurage doux, la fermentation se fait lentement à température contrôlée. Puis nous élevons les vins dans des cuves en inox ou des fûts de chêne et les laissons reposer au moins six mois en bouteille avant de les vendre. »
Paulo Alves, propriétaire du domaine de Quinta Casal da Cruz (crédit photo Marie-Line Darcy)
En 2019, sa première récolte n’a donné que 3 000 litres pour 1 000 bouteilles d’AOC, et le reste en vin de base pour faire un mousseux. En 2020, il a produit 6 200 bouteilles d’AOC et le double en 2021. Biogrape, la société de Paulo Alves, vend l’essentiel de sa production à des restaurants portugais haut de gamme, à 15 € la bouteille sortie de cave. Des Danois et Allemands sont intéressés. Paulo Alves a investi 500 000 € avec un partenaire dans Quinta Casal da Cruz, propriété qui était à l’abandon lorsqu’ils l’ont achetée. Serait-il en passe de réussir son audacieux pari ?
La plupart des vignes de Bucelas sont conduites en guyot simple. Les rangs sont espacés de 2,80 m et les plants de 1,05 m. Cependant, quelques vieilles vignes sont encore conduites selon la technique de l’empa. Il s’agit d’une taille longue où les sarments ne sont pas attachés à un fil porteur mais recourbés sur eux-mêmes pour revenir en boucle vers leur base ou vers un tuteur qui sert également à tenir le cep. Une manière d’augmenter les rendements. Au domaine de Boição, 4 ha de vignes plantés en 1962 sont conduits de cette manière. « La technique est abandonnée sur les nouvelles plantations car elle demande beaucoup de temps et coûte cher », explique l’œnologue João Vicêncio.