our réduire les risques de gel, les viticulteurs peuvent croiser les doigts ou toucher du bois. Plus sérieusement, ils peuvent retarder la taille ou investir dans des tours ou des chaufferettes pour limiter les risques de gel. Selon Guillaume Delanoue, viticulteur à Saint-Nicolas-de-Bourgueil et ingénieur de recherche l’Institut français de la vigne et du vin (IFV) d’Amboise, ils ont aussi tout intérêt à bien établir leur planning de travail du sol. Car le travail des sols humides, comme c’est généralement le cas au début du printemps, augmente le risque de gel.
Le mécanisme est simple : les labours ou griffages aèrent les sols, favorisant l’évaporation de l’eau. Or, « 25 % d’humidité relative en plus dans l’air, c’est 50 % de bourgeons grillés supplémentaires lors des gelées blanches », assure Guillaume Delanoue, qui a analysé les données relevées durant trois campagnes par des capteurs Weenat posés dans des vignes à Chinon et à Quincy. « Et qu’importe la température, le stade phénologique de la vigne ou la nature du sol », ajoute-t-il.
La sensibilité des bourgeons au gel augmente avec l’humidité de l’air. « En situation de forte humidité, les jeunes pousses peuvent geler à partir de -2 à -3 °C, alors qu’en situation plus sèche – hygrométrie inférieure à 60 % –, elles peuvent résister à -4, voire -5 °C », indique l’IFV. De plus, en s’évaporant, l’eau absorbe la chaleur, faisant chuter la température au niveau du sol. « Cela tombe mal car c’est généralement en avril, lors des épisodes gélifs, que les viticulteurs recommencent à entretenir leur cavaillon », constate l’ingénieur.
Aux heures les plus froides, l’humidité relative de l’air au niveau des bourgeons dans les parcelles travaillées mécaniquement est plus de 30 % supérieure à celle des parcelles non travaillées. Et cela pendant au moins deux jours. « Au lendemain d’un décavaillonnage sur une parcelle à Chinon, après un hiver normalement arrosé, nous sommes à 98 % d’humidité relative dans l’air contre 65 % dans le témoin non travaillé. Et le surlendemain, à 88 % contre 58 %. Cette hygrométrie peut faire toute la différence lors d'un épisode de gel un peu timide », détaille Guillaume Delanoue.
Selon l’expert, huit jours en moyenne à plus de 15 °C sont nécessaires pour qu’une parcelle travaillée mécaniquement retrouve l’hygrométrie de la parcelle témoin. « Il faut même vingt jours de sec quand il a plu au-delà de 20 mm lors des vingt jours précédant le travail du sol », précise-t-il. Et le pire scénario, selon lui, c'est un gros décavaillonnage sur 15 à 20 cm de profondeur un ou deux jours avant un gel dans des sols lourds qui n’ont pas été grattés depuis l’automne. « En réalité, tout dépend de l’humidité du sol et du volume de terre remué », détaille Guillaume Delanoue.
Pour limiter la casse, il conseille de travailler le cavaillon en mars puis de tondre de manière rase l’interrang cinq jours avant les risques de gel. Mais les vignerons ne peuvent pas toujours suivre ces recommandations. Président de la Cuma antigel à Quincy, Luc Tabordet est bien placé pour en témoigner (voir encadré). À côté de Mâcon, Jean-François Gonon craint, lui, de se laisser déborder par l’herbe s’il se préoccupe du risque de gel.
Luc Tabordet est vigneron sur 22 ha en bio à Quincy (Cher). « En bio, notre première règle est de ne pas nous laisser dépasser par la végétation. Nous avons trois enjambeurs pour pouvoir nettoyer nos 22 ha en une semaine et sortons dès que les conditions sont favorables. Quand le sol est bien ressuyé et que la météo annonce plusieurs jours de beau, nous intervenons dès février. Le gros du travail se fait le plus souvent en mars, quand les bourgeons sont encore dormants. Nous commençons par la tonte des bandes enherbées et continuons sur d’autres parcelles avec des disques Valmatic et des doigts Kress, ou la décavaillonneuse. En avril, nous nous organisons au mieux pour ne pas travailler les sols dans les deux ou trois jours qui précèdent une alerte de gel. Mais ce n’est pas toujours possible, en particulier quand le temps a été très humide et que les parcelles sont sales. Dans ce cas-là, nous faisons le maximum le matin pour laisser les sols sécher et se refermer. Et si le risque de gel se confirme, nous avons la chance de pouvoir démarrer nos tours antigel. », explique-t-il