es brouettes qui fument dans les vignes en hiver ne seront-elles bientôt qu’un lointain souvenir ? Pas en Bourgogne. Malgré les critiques et les restrictions dont le brûlage des végétaux à l’air libre fait l'objet, ce petit véhicule apparu vers 1950 n’est pas remisé au musée. Loin s’en faut. En hiver, les sarments s’y consument toujours dans un feu réconfortant pour les tailleurs.
En Côte Chalonnaise, « nous sommes encore beaucoup à brûler », rapporte Laurent Juillot, vigneron à Mercurey, en Saône-et-Loire. « Dans mon village, 70 % des exploitations brûlent leurs sarments », assure son confrère Vincent Dureuil, vigneron à Rully, la commune voisine.
Plus au sud, à Fuissé, dans le Mâconnais, le brûlage reste aussi de mise. « Sur notre secteur, beaucoup de vignerons brûlent les sarments car les vignes sont pentues et pas toujours mécanisables, témoigne Camille Thibert, installée avec son père et sa tante au domaine Thibert. Sur nos 25 hectares, nous en brûlons cinq : nos vieilles vignes dont les rangs font moins d’un mètre de large. »
Selon l'Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), les sarments représentent 2,8 tonnes de biomasse à l’hectare. Or, la combustion de 50 kg de déchets verts émet dans l’atmosphère la même la même quantité de particules fines que 6 000 km parcourus avec un véhicule diesel (source AtmoSud 2015). Mais si les Bourguignons continuent cette pratique ancestrale, ce n’est pas parce qu’ils se désintéressent de son impact environnemental. « Si on pouvait accéder partout en tracteur, nous pourrions broyer la totalité du domaine », précise Christophe Thibert.
Beaucoup de vignerons en faveur du brûlage évoquent des arguments sanitaires. Quand l’ombre de la flavescence dorée plane et que les maladies du bois sont une préoccupation majeure, brûler les sarments fait partie des moyens de contenir ces causes de dépérissement.
C’est en tout cas une des raisons invoquées par Vincent Dureuil. Longtemps, il a récupéré ses sarments pour alimenter sa chaudière. Mais il a arrêté dès qu’il a pu obtenir des sciures de tonnellerie, il y a deux ans. « C’est une matière première très propre, contrairement aux broyats de sarments dans lesquels il m’est arrivé de retrouver un fer à cheval et même une baïonnette », assure-t-il. Depuis qu’il dispose des sciures, il s’est remis à brûler les sarments au fur et à mesure de la taille. « Je ne souhaite pas les conserver au sol en raison des maladies du bois », justifie-t-il. Laurent Juillot n'entend pas non plus prendre de risque sanitaire. « Le brûlage ne laisse pas de résidu et ne tasse pas les sols, contrairement au broyage », ajoute-t-il.
Un autre point avancé par les vignerons est organisationnel. Ils retardent en effet la taille afin d'éviter au maximum les gelées de printemps. « Quand arrive le moment où on peut broyer, c’est déjà le temps des labours. Si on n’est pas équipé, on ne peut tout faire en même temps », précise Vincent Dureuil.
Côté coût, tailler et tirer les sarments coûte entre 800 et 1 000 €/ha, que les tailleurs les brûlent ou qu’ils les disposent en andains au milieu des rangs. Mais dans ce second cas, il faut encore les broyer, une intervention que Philippe Vega, directeur de l’Entreprise adaptée viticole (EAV) de Beaune, facture 200 €/ha. Un surcoût dont ses clients ne veulent pas.
Son entreprise emploie 70 personnes en situation de handicap ou réinsertion, dont 30 se consacrent aux travaux viticoles. « Sur les 200 hectares qui nous sont confiés, nous avions pour objectif d’en broyer 60 avec les deux broyeurs dans lesquels nous avons investi", indique Philippe Vega. Désappointé, il précise : "L’hiver dernier, nous sommes timidement parvenus à broyer 7 hectares. Seuls trois de nos clients sur 29 ont été intéressés par le broyage. » Serait-ce le signe d’un retour au travail à l’ancienne, c’est-à-dire rapide et peu coûteux ? C’est une question que se pose le prestataire.
Pour Kathleen Fantato-Jeannin, présidente de Sarm'Énergie, à Gilly-les-Citeaux, pas question de brûler les sarments. Cette prestataire emploie 16 personnes pour des travaux manuels, parmi lesquels la taille. « Nous ne souhaitons pas exposer nos salariés à la fumée », précise-t-elle. Ses clients sont majoritairement des domaines en bio, voire en biodynamie, qui ne sont pas favorables au brûlage. Elle affirme d’ailleurs voir beaucoup moins de fumées sur la Côte qu’il y a une dizaine d’années.
Pour sa part, si elle avait le choix, Camille Thibert, renoncerait au brûlage sur tout son domaine. « Pour apporter de la matière organique, explique-t-elle. Le broyage, c’est une économie circulaire pour la vigne, avec un bon apport de matière carbonée et de minéraux pour les sols. Un hectare de sarments broyés peut être à l’origine de 400 kg d’humus dans les sols qui ont une activité biologique suffisante. Les brûler, c’est s’en priver. »
Selon les vignerons interrogés, les riverains ne se plaignent pas des fumées de sarments, contrairement à celles dégagées par les ballots de paille brûlés dans le cadre de la lutte contre le gel de printemps. D’autant qu’une amélioration est à noter : désormais, les vignerons allument leurs feux de brouette avec des cagettes, des petits fagots de sarments secs de l’année précédente, du carton ou des allume-feu écologiques ; ils envoient l’huile de vidange au recyclage. Et les jolies fumerolles que dégagent les sarments sont toujours l’occasion de faire de belles photos.