e n’est pas parce que l’Europe a tourné le dos aux organismes génétiquement modifiés que le reste du monde l’a suivie. Loin s’en faut. Marcel Kuntz, directeur de recherche au CNRS, l’a souligné lors du congrès des VinsIGP où il était invité à s’exprimer sur les nouvelles techniques de sélection des plantes, les NBT ou new breeding technologies.
« Nous assistons à un suicide européen sur les NBT », a-t-il soutenu. Pour appuyer ses dires, il a présenté l’étude qu’il a réalisée avec deux autres chercheurs sur les brevets déposés jusqu’en décembre 2017 à travers le monde sur l’une de ces nouvelles technologies, la CRISPR-CAS également dénommée édition génomique. Les chiffres sont édifiants : un peu moins de 900 brevets aux Etats-Unis et en Chine et moins de 200 en Europe. Concernant les applications agricoles, la Chine mène le bal : 259 brevets déposés contre 61 aux Etats-Unis et 18 en Europe.
Au contraire de la transgénèse, vieille d’une trentaine d’années maintenant avec les OGM, la technologie CRISPR-CAS n’introduit pas de nouveau gène dans un organisme, mais elle en élimine. Aussi surprenant que cela paraisse c’est une autre manière d’améliorer les plantes. Récemment, une équipe chilienne a fait perdre leur sensibilité à l’oïdium à des plants de sultanine (Thompson seedless) par cette méthode.
« Il existe des gènes de susceptibilité chez les plantes qui font que les pathogènes peuvent pénétrer dans leurs cellules, explique Marcel Kuntz. Cette équipe a supprimé l’un de ces gènes par édition génomique. Depuis, l’oïdium ne peut plus l’infecter. »
Y a-t-il là de quoi remplacer cette transgénèse classique que le grand public rejette ? Marcel Kuntz ne le pense pas. Pour lui, les deux méthodes sont complémentaires. « Il faut accumuler plusieurs mécanismes de défense au sein d’une plante. Pour être sûr d’avoir une résistance durable que les champignons ne puissent pas contourner, il faut deux ou trois niveaux de résistances », assure-t-il. D’où la complémentarité du transfert de gène et de l’édition génomique.
D’ailleurs, les recherches se poursuivent avec la première de ces méthodes. Fin 2020, une équipe chinoise a nettement amélioré la résistance à la sécheresse de plants de sultanine par introduction de plusieurs copies d’un gène impliqué dans la synthèse de lignine. Auparavant d’autres équipes ont obtenu des plants résistants, les uns à l’oïdium et les autres au mildiou par transfert de gène du riz dans le premier cas ou d’autres Vitis dans le second.
Tous ces procédés sont non seulement rejetés par le grand public, leur développement en Europe est aussi bloqué par les multiples et très coûteuses études réclamées par l’Union Européenne pour s’assurer de l’innocuité des plantes transformées. Marcel Kuntz avance le chiffre de 100 millions d’euros.
Actuellement la question est de savoir si les études exigées pour les OGM classiques le seront aussi pour les plantes issues de NBT. Un arrêt datant de 2018 de la Cour Européenne de Justice les classe dans la même catégorie. Mais des tractations sont en cours définir alléger les contraintes pesant sur les NBT que Marcel Kuntz juge injustifiées sur le plan scientifique. Ce chercheur rappelle que des transformations génétiques se produisent régulièrement dans la nature. La patate douce en est un exemple. En 2015, des chercheurs ont prouvé que cette plante cultivée résulte de l’intégration dans un ancêtre sauvage de gènes de la bactérie Agrobacterium thumefasciens. Un OGM naturel dont l’humanité tire profit tous les jours.