ien que soumise à la pression d'opposants farouches qui n'hésitent pas à utiliser la menace pour enrayer son développement, la recherche sur les Organismes Génétiquement Modifiés appliquée aux plants de vigne continue d'avancer.
Alain Bouquet, directeur de recherche à l'INRA de Montpellier, est un fervent défenseur de cette démarche qui, selon lui, présente plus d'avantages que d'inconvénients.
Photo INRA
L'histoire des OGM utilisés en viticulture commence en Alsace au début des années 90. L'INRA de Colmar et le CNRS de Strasbourg sont alors sollicités par le laboratoire de recherche des Champagnes Moët et Chandon, afin de résoudre de graves problèmes causés par le court-noué. En effet, vu les enjeux économiques que représentent leurs produits à forte valeur ajoutée, les replantations se font vigne sur vigne. Pas question ici de laisser des parcelles en jachère. Ajoutez à cela que la profession craint une interdiction des nématicides en 2003, année où la liste des produits phytosanitaires sera revue au niveau européen. Les chercheurs décident de lancer un programme de recherche, soutenu par l'ANVAR, consistant à modifier génétiquement le porte-greffe 41B, couramment utilisé par les Champenois, afin de le rendre résistant aux virus responsables de la maladie, une approche logique puisque ces derniers sont transmis aux ceps de vigne par des nématodes du sol. La méthode a consisté à introduire, dans le génome végétal, des gènes du virus dont l'expression perturbe la multiplication virale dans la plante. C'est ce que les généticiens appellent la stratégie de la résistance dérivée du pathogène. Le premier gène viral introduit a été celui de la coque protéique de l'un des deux virus responsables du court-noué. En 1995, les chercheurs alsaciens et champenois publient l'obtention des premiers porte-greffes transgéniques. Les essais au vignoble, utilisant des greffons de Chardonnay non transgéniques, débutent en 1997 pour être brutalement interrompus en 1999 sans que des résultats probants soient véritablement acquis. C'est à la suite d'un article de presse titré 'Les bulles transgéniques de Moët et Chandon', que le célèbre négociant, face aux menaces de boycott, se résout à l'arrachage immédiat de la parcelle expérimentale. En pleine préparation des fêtes du millénaire, on peut imaginer l'impact commercial d'une telle bombe médiatique qui, du même coup, a conduit au quasi-anéantissement de dix années de recherches. Restent, au bout du compte, 2500 pieds transgéniques en attente de plantation que l'INRA de Montpellier propose alors de rapatrier sur son domaine expérimental du Chapitre. Mais l'Institut se heurte alors à l'hostilité de certains responsables professionnels régionaux qui proclament haut et fort 'Le Languedoc-Roussillon ne sera jamais la poubelle transgénique de la Champagne'. L'INRA recule face aux menaces. Seuls, 500 plants sont implantés au Centre de Recherche de Colmar? sur un terrain exempt de nématodes. Fin du premier épisode. Mais les chercheurs alsaciens ne se découragent pas et testent actuellement d'autres gènes du virus.
Croiser deux approchesA la même époque et parallèlement aux expérimentations alsaciennes et champenoises, à l'INRA de Montpellier, l'équipe d'Alain Bouquet travaille également sur la résistance des porte-greffes au court-noué mais en utilisant une autre approche, celle plus classique de l'hybridation. Une espèce américaine, la muscadine, dont la résistance au nématode vecteur du court-noué a été découverte en 1975, est utilisée pour pratiquer les croisements mais de nombreuses difficultés apparaissent. 'Je n'arrivais pas à maintenir complètement la résistance de l'espèce sauvage chez les hybrides, fortement stériles', explique le chercheur. Il existe cependant aujourd'hui des porte-greffes partiellement résistants et le plus intéressant d'entre eux a été mis en expérimentation à Montpellier en 1999 avec des greffons de Cabernet Sauvignon et de Caladoc. Mais pour Alain Bouquet, 'si l'on veut obtenir une résistance totale et durable à la transmission du virus, il faut absolument coupler cette résistance au nématode avec une résistance au virus. Pendant quatre ans, les chercheurs de Colmar ont recherché sans succès si une telle résistance existait dans la nature. Face à cet échec, la seule solution passe par l'utilisation de la transgénèse'. Une affirmation confortée par une autre constatation. 'Je pense que la transgénèse utilisée seule sur un porte-greffe classique sensible au nématode vecteur du virus risque de conduire à une impasse, surtout chez une plante pérenne. D'autres équipes travaillant sur d'autres plantes et d'autres virus transmissibles par nématodes l'ont d'ailleurs démontré très clairement.' Il restait donc à démontrer le bien fondé de cette affirmation, contestée par les chercheurs de Colmar. En 1992, les travaux utilisant cette double démarche sont lancés en prenant pour base du matériel hybride en cours de sélection pour la résistance au nématode. Un terrain d'entente ne pouvant être trouvé avec les chercheurs alsaciens, l'équipe de Montpellier se tourne vers les chercheurs de l'INRA de Bordeaux qui mettent à sa disposition le virus de la mosaïque chromée de la vigne, appelée communément court-noué hongrois, dont ils possèdent la séquence génétique. Un an plus tard, l'introduction du gène de la coque protéique du virus est réussie et publiée en 1994. Mais ce succès n'a été obtenu que sur un porte-greffe classique, le 110 Richter, les hybrides résistants au nématode se sont montrés réfractaires à la transformation. Si ce résultat ne présente aucun intérêt pour la viticulture nationale - la mosaïque chromée de la vigne n'existe pas en France - et s'il est impossible pour l'instant de savoir si les porte-greffes transgéniques sont devenus résistants - l'expérimentation prévue en Hongrie s'est également heurtée à une violente opposition. C'est néanmoins une première scientifique qui ouvre des perspectives porteuses d'avenir pour cette technique. Depuis l'an dernier, le même travail a été repris avec des gènes du virus du court-noué et des hybrides résistants au nématodes, mais pour l'instant, l'implantation 'in situ' de greffés-soudés transgéniques, bien qu'expérimentale, n'est pas à l'ordre du jour. Echaudés par les récents saccages de serres à Montpellier (CIRAD) et à Toulouse (CNRS-INRA), les chercheurs montpelliérains craignent d'être confrontés à la destruction de leurs parcelles, comme sont systématiquement détruites les parcelles d'essais INRA-CETIOM de colzas transgéniques en Ariège, qui servent à étudier les risques de transmission des gènes de résistance aux herbicides aux espèces adventices apparentées. Les expérimentations actuelles sur les vignes transgéniques à Montpellier sont donc confinées en laboratoire, une situation qui irrite profondément Alain Bouquet. 'Je m'élève contre la diabolisation de ce qui n'est qu'une technique d'amélioration génétique parmi d'autres. On a quitté le domaine du rationnel. On exige des plantes génétiquement modifiées qu'elles fassent la preuve de leur innocuité et dans le même temps, on interdit par la violence à des chercheurs d'établissements publics d'évaluer les risques réels pour la santé et l'environnement', s'indigne t-il.
Avantages et inconvénientsIl semble que le problème se pose plus de savoir si les vins issus de plants transgéniques peuvent être nocifs pour la santé que d'apprécier les risques inhérents à la prolifération de pollen transgénique dans l'atmosphère. Si le risque existe, il semble peu préoccupant estime le chercheur. 'On sait que le taux d'allogamie chez les cépages de Vitis vinifera est faible puisque les fleurs hermaphrodites s'autofécondent de manière préférentielle. Sur le plan santé, les vignes transgéniques ne peuvent être potentiellement dangereuses que si leurs vins contiennent des substances directement ou indirectement issues du fonctionnement des transgènes et dont l'innocuité n'est pas démontrée. Dans le cas des porte-greffes, il faudra évidemment vérifier que les protéines produites par les transgènes ne sont pas transportées dans les tissus du greffon et, si tel était le cas de s'assurer également de leur innocuité'. Le chercheur estime que le principal inconvénient lié à l'utilisation de vignes transgéniques réside dans l'aggravation du phénomène de réduction de la variabilité génétique lorsque la technique sera appliquée aux cépages. La transgénèse ne concernera en effet qu'un nombre très limité de clones. Mais les chercheurs disposent d'une méthode pour contrer ce phénomène. 'Avec la variation somaclonale, nous sommes capables de reconstituer, à partir d'un seul clone, transgénique ou non, une variabilité génétique très large au sein de laquelle une sélection des meilleurs clones pourrait à nouveau être mise en pratique'. Bien que sous pression, les chercheurs vont continuer de travailler ces prochaines années sur les vignes transgéniques notamment pour améliorer la technique elle-même et en évaluer plus finement les risques, le programme étant maintenant étendu aux greffons. D'ici là, l'opinion publique aura peut-être évolué car le passage éventuel du laboratoire au terrain n'est pas pour demain. 'Les premiers plants destinés aux viticulteurs ne seront pas disponibles avant encore une quinzaine d'années d'expérimentation, déclare Alain Bouquet, et pour que des variétés transgéniques soient inscrites au catalogue, il faudra qu'elles soient soumises au CTPS (Comité Technique Permanent de la Sélection), instance où les professionnels sont majoritaires. Ce sont donc eux qui, en dernier ressort, décideront ou non du bien fondé de leur utilisation'.