lisabeth Besnard se souviendra du 23 juin 2022. Ce jour-là, un déluge de grêle s'est abattu sur le domaine expérimental d’Anglars-Juillac, près de Cahors, alors qu'elle accueillait des viticulteurs lors d'une journée de présentation des essais. « Il est tombé de 80 à 100 mm sur le site en l’espace de 30 à 40 minutes, avec des grêlons gros comme des olives », rapporte l'œnologue en charge des expérimentations. Un épisode qui aura démontré l'efficacité des filets antigrêle Texinov, qui protègent deux rangs de cot depuis cette année.
Alors que les grêlons martelaient les vignes non protégées du domaine, ils rebondissaient sur les filets. Résultat : « Nous avons perdu entre 30 et 80 % de la récolte là où il n'y avait pas de protection, annonce Élisabeth Besnard. Alors que, sous les filets, les baies et le feuillage sont intacts. Ça fonctionne bien. Seules les feuilles du haut, hors des filets, sur 20 à 30 cm, ont été touchées ainsi que quelques grains par-ci par-là, qui étaient à l’extérieur du filet, mais ce n’est pas significatif. » Les viticulteurs présents ont pu le constater dès la fin de l'averse. Le domaine va donc poursuivre les tests de filets pour évaluer l’impact sur la main-d’œuvre, sur la maturité, sur l’organisation des vendanges à la machine, sur la qualité des vins...
Béatrice Blin vient, elle aussi, de mesurer l'efficacité de ses filets. Cette viticultrice gère l’EARL des 2 B avec son mari, à Rouillac en Charente. Depuis 2019, ils protègent 1 ha d’ugni blanc sur une parcelle de 4,38 ha au total, située à Foussignac sur un couloir de grêle. Un essai qu’elle mène avec la maison de cognac Martell et la société Texinov. Le 20 juin au soir, un violent orage a frappé le vignoble. Béatrice Blin en a constaté l’ampleur dès le lendemain. « Dans la partie non protégée par les filets, j’estime à 30 % les dégâts". Sous les filets, il n'y a rien. "Mais nous avons tout de même quelques dommages dans la partie protégée car, en raison du manque de personnel, nous n’avons pas eu le temps de remettre sous le filet les grappes qui étaient passées à l'extérieur au travers des mailles. Ces baies sont touchées, mais pas celles sous filet », rapporte-t-elle. L’EARL est assurée contre la grêle et, ce 30 juin, l’expert qui doit évaluer précisément les dégâts dans la parcelle n’était pas encore passé.
Béatrice Blin et son mari sont convaincus par les filets. Ils aimeraient équiper plus de surface. Mais ils ont dû faire des choix et investir dans un pulvérisateur à panneaux récupérateurs et une plateforme de lavage pour décrocher la certification Cognac et la HVE. À l’avenir, c’est sûr, ils sauteront le pas. « Quitte à choisir, mieux vaut les filets que l’assurance ! », pèse la viticultrice.
Après ce mois de juin destructeur, d’autres viticulteurs envisagent de s’équiper. En témoignent les nombreux appels que reçoivent les fabricants et leurs distributeurs. De plus, ces moyens de protection sont éligibles aux aides à l'investissement de protection contre les aléas climatiques. Chez Paligrêle, le téléphone et le stylo de Jean-René Bielle ont chauffé ces dernières semaines. « Ça appelle de partout. En ce moment, je ne fais que des devis », assure-t-il. Même chose chez Texinov : « Depuis trois semaines, nous avons a minima deux appels par jour pour notre solution Cov’impact. Et nos distributeurs en ont plusieurs dizaines par semaine », indique Francis Moinereau, le responsable de la gamme agri, le 27 juin. Olivier Delorme, chef de marché agroéquipement d’InTerra Pro, l’un de ses distributeurs, confirme : « Nous avons fait une réunion de terrain la dernière semaine de juin, en Savoie, chez un viticulteur équipé et 25 viticulteurs sont venus avec des demandes de devis par la suite. » Filpack, un autre fournisseur, ne dit pas autre chose. Il a reçu des appels dès fin juin, « alors qu'habituellement les demandes se font plutôt à l’automne », souligne Philippe Augénie, le directeur commercial.
Même les assureurs s'y mettent. Le Château de Pizay, à Belleville-en-Beaujolais, dans le Rhône, qui appartient à Groupama, teste les filets depuis l’an passé sur deux rangs de chardonnay et une dizaine de rangs de gamay, totalisant 1000 m linéaires. « La question de la protection contre la grêle se pose, car le Beaujolais subit régulièrement des passages de grêle », explique Romain Schneider, le directeur général. Pour le moment, ce dernier n'a pas été grêlé. « Mais, d'après ce que j'ai pu voir chez d'autres vignerons équipés, les filets semblent efficaces. » Pour autant, le château n'imagine pas équiper ses 85 ha de vignes. « Cela représente un investissement important et la mise en œuvre reste compliquée, car il faut passer trois fois dans l'année : avant les vendanges pour les relever, avant la prétaille pour les replier vers le bas et après la taille pour les déplier, explique-t-il. Si ces opérations étaient mécanisées, ce serait plus facile. »
À Chablis, les choses sont claires : les filets antigrêle sont autorisés, après l'avis rendu en 2018 par l'Inao (Institut national de l'origine et de la qualité) en réponse au syndicat qui lui demandait de se prononcer. Et ailleurs ? « On ne peut pas les interdire », a expliqué Marie Guittard, directrice de l'Inao, lors du congrès de la Cnaoc, fin avril. Car, pour cela, il faudrait que ces filets soient explicitement interdits, soit par le code rural, soit par l'un ou l'autre des cahiers des charges, ce qui n'est pas le cas. Ils sont donc autorisés, même si certains s'offusquent qu'ils portent atteinte au paysage.