’est par un lobbying discret et efficace que la famille Brûlart de Sillery a créé la réputation de la montagne de Reims, en Champagne. « Au XIVe siècle, la montagne de Reims laissait à la Rivière, c’est-à-dire les coteaux d’Ay et d’Hautvillers, l’honneur de compléter la provision de vins fins demandés à Beaune pour le sacre des rois », raconte le géographe Roger Dion dans Histoire de la vigne et de vin en France (1959).
À cette époque, « les vins de la montagne sont qualifiés de “petits vins” et il est précisé qu’ils “ne sont point marchands” », rapporte Marcel Lachiver dans son ouvrage Vins, vignes et vignerons (1988). Cet historien relève qu’en 1609 encore, un certain « Jehan Pussot oppose les vins d’Ay, excellents, aux vins de la Montagne, petits en qualité, et il impute cette infériorité au fait que le raisin ne mûrit pas parfaitement ».
Le mariage de Pierre Brûlart, conseiller au Parlement de Paris et conseiller d’État, avec Marie Cauchon, la dame de Sillery et de Puisieux, en 1543, va changer la donne. Marie Cauchon est la fille du seigneur de Sillery et de Puisieux. Ces deux villages se situent à 5 km de Ludes, Mailly, Verzenay, dans la Marne. Les deux époux useront de leur entregent pour les faire connaître.
Une ordonnance de police du 22 août 1578 recensant une quinzaine de vignobles qui approvisionnent Paris en vins « délicats et excellents », retient l’attention. En effet, on y trouve les crus renommés de l’époque tels Orléans, Beaune, Irancy, Épernay ou Ay et, grande première, la montagne de Reims, qui n’avait jusqu’alors jamais été citée.
« Parmi les personnages influents de l’entourage du souverain, un propriétaire était tout particulièrement intéressé à ce que le vin de la montagne de Reims fut en réputation, explique Roger Dion. C’était Pierre Brûlart, maître de la terre de Sillery depuis 35 ans, temps assez long pour recueillir les premiers fruits d’une entreprise de création ou de rénovation de vignobles. »
Arrivé à l’âge adulte, Nicolas Brûlart de Sillery (1544-1624), fils de Pierre, accède aux plus hautes fonctions : garde des Sceaux en 1604, chancelier en 1607. Nul doute qu’il défend lui aussi les vins de Champagne. Cette propagande passe d’abord « par une campagne de discrédit menée avec les médecins de la cour, contre le vin d’Orléans qui jusqu’alors jouissait d’une très grande renommée », relève Roger Dion.
En 1621, la terre de Sillery est élevée en marquisat. « Le château de Sillery devint le prototype du cru réputé », rapporte Marcel Lachiver. Au fil des décennies, la réputation des vins de Champagne grandit. « Il était de bon ton, parmi les raffinés, d’afficher une préférence exclusive pour les vins de Champagne [tranquilles à l’époque, Ndlr] et de prêter une importance singulière aux débats sur les mérites de tel cru de la Rivière ou de tel autre de la montagne de Reims », continue Roger Dion.
En 1646, le marquis de Saint-Évremond évoque « notre montagne de Reims qui fournit tant d’excellents vins ». En 1654, le sacre de Louis XIV à Reims est l’occasion de faire connaître à toute la cour les vins de la région dont, pour la première fois, ceux de la montagne de Reims.
Décennies après décennies, les Brûlart font déguster leurs vins – des rouges tranquilles – à la cour, donnant ainsi à Sillery une belle renommée. En témoigne un siècle plus tard Edme Béguillet, avocat au parlement de Dijon. « Les vins de Sillery ont une qualité si supérieure qu’on les réserve pour la bouche du roi », écrit-il. Les Brûlart de Sillery s’éteignent en 1785. Leur domaine disparaît à la Révolution, tout comme celui de l’abbaye d’Hautvillers. N’empêche, ils auront contribué à la notoriété du champagne.