es chauves-souris sont des alliées pour le viticulteur. Au fur et à mesure que les connaissances sur ces petits mammifères progressent, leur appétit pour l'eudémis se confirme et se précise. Des analyses de leur guano avaient déjà montré qu'elles consomment cette tordeuse. On sait maintenant qu'eudémis est une nourriture particulièrement recherchée par certaines espèces de chauves-souris, comme la pipistrelle ou le petit rhinolophe. « En réalisant un suivi acoustique de leur activité nocturne en 2018, nous avons pu montrer que ces chauves-souris chassent bien plus intensément au moment des vols d'eudémis », révèle Maxime Cosson, du Conservatoire des espaces naturels (CEN) de Nouvelle-Aquitaine.
Cette découverte a été réalisée dans le cadre du programme BatViti, mis en place en 2017 par la chambre d'agriculture de Dordogne et financé par l'Agence de l'eau et l'interprofession de Bergerac et de Duras (IVBC). Guillaume Barou s'en réjouit. « Nous avons développé la lutte par confusion sexuelle contre eudémis, explique ce vigneron, président de la coopérative de Monbazillac, qui s'est engagé dans ce programme et a posé des nichoirs. Dans les grands ilôts, la confusion fonctionne très bien. Dans les petits ilôts, c'est moins évident. Là, les chauves-souris pourraient nous aider à réduire les populations d'eudémis et compléter l'action des diffuseurs. »
Guillaume Barou
Dès le départ, le programme BatViti avait pour ambition d'attirer ces petits animaux. Dans cet objectif, « nous avons construit et posé 200 nichoirs avec des collégiens de Bergerac et de Duras. Mais seuls quelques-uns ont été occupés. Aujourd'hui, nous aménageons également des gîtes dans le bâti », note François Ballouhey, de la chambre d'agriculture de Dordogne.
En effet, l'expérience montre que les nichoirs n'offrent qu'un gîte temporaire et qu'ils ne conviennent qu'à quelques espèces. Le petit rhinolophe, par exemple, préfère loger dans les combles et les granges. Depuis qu'il le sait, Guillaume Barou a pris des mesures. « Sur mon domaine, j'ai une cabane vigneronne. L'an dernier, j'ai aménagé une ouverture dans le haut de la porte pour laisser entrer les chauves-souris et j'ai mis du grillage au plafond pour qu'elles puissent s'y suspendre », précise-t-il.
À Rochecolombe en Ardèche, Patrice Raoux fait le même constat. Ce coopérateur est engagé dans la charte « Ardèche par nature » des Vignerons ardéchois. En 2019, il a installé cinq nichoirs. « Pour l'instant, aucun n'a été occupé, indique-t-il. Pourtant il y a des chauves-souris à proximité, je les vois souvent voler le soir au-dessus des vignes. » Sur les conseils de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), partenaire de la charte, il va poser d'autres nichoirs à côté des premiers, sur les mêmes arbres mais orientés différemment. Il espère ainsi inciter les chauves-souris à s'installer en leur donnant la possibilité de choisir l'exposition en fonction de la saison.
Patrice Raoux
Là aussi, les observations montrent que ces mammifères nocturnes préfèrent de loin les granges ou les greniers aux nichoirs. Pour en tenir compte, les Vignerons ardéchois vont installer une chiroptière ? une ouverture spéciale pour les chauves-souris ? dans le toit d'un ancien chai de leur domaine Terra Noé, classé refuge de biodiversité par la LPO. Des haies vont également être plantées, car les chauves-souris en ont besoin pour se repérer et circuler dans le vignoble. Certaines espèces, notamment le petit rhinolophe, sont particulièrement sensibles à la continuité du réseau de haies. « Il suffit d'une interruption de 10 m pour qu'il fasse demi-tour », assure Maxime Cosson. À Monbazillac et à Duras, le CEN a localisé les endroits où il faudrait planter des arbres et des arbustes pour restaurer cette continuité. Des points d'eau seraient aussi nécessaires pour rendre l'environnement plus attractif.
Ces haies, ainsi que les bandes enherbées et les couverts, fournissent par ailleurs des abris aux insectes, dont les chauves-souris se nourrissent toute l'année. « Depuis que j'installe des couverts, il y a beaucoup d'insectes dans mes vignes. Pendant l'épamprage, il suffit de se pencher pour les voir dans l'herbe. Il y a de quoi nourrir des chauves-souris. Et les oiseaux sont de retour également », apprécie Patrice Raoux.
Les chauves-souris émettent des ultra-sons pour se repérer dans l'environnement et localiser leurs proies. En analysant ces signaux, on détermine leur activité. « Quand elles chassent, elles émettent un ultra-son particulier, qui s'accélère avant de capturer un insecte afin de mieux le localiser », explique Maxime Cosson, du CEN de Nouvelle-Aquitaine. En comptabilisant ces buzz, on évalue l'intensité de leur activité de chasse. Celle-ci peut même être suivie en direct. « Au cours des nuits de la chauve-souris que nous avons organisées, nous avons proposé aux curieux de se promener en petits groupes dans les vignes avec un boîtier qui transforme ces buzz en bips sonores. Nous avons eu du succés ! », raconte Guillaume Barou, vigneron à Monbazillac. Ces animations, ouvertes à tous, ont permis de sensibiliser les riverains afin qu'ils préservent eux aussi les gîtes de chauve-souris. « La démarche les intéresse, car celles-ci chassent également les moustiques ! », pointe-t-il.