L’évolution climatique est inéluctable » constate Eric Duchêne, de l’INRAe Colmar. « Une température estivale plus élevée d’un degré fait que le raisin supporte 2°C de température supplémentaire pendant sa période de maturation. Il produit donc plus de sucre ». Ainsi, durant la période 1976-2016, le riesling a gagné en moyenne 5,2° d’alcool et a perdu 11,4 g/l d’acidité totale. Vinifier une telle matière première change le travail en cave. « L’acidité est un paramètre important » rappelle Eric Meistermann, responsable du pôle IFV Alsace. « Sa baisse fait monter le pH en offrant un milieu de développement plus favorable aux bactéries. Il faut davantage stabiliser le vin à des doses de sulfites plus élevées à un moment où le consommateur en demande moins ! Et acidifier n’est pas toujours neutre sur la perception organoleptique. Les jus afficheront un taux de protéines plus élevé et demanderont des doses accrues de bentonite, d’où une perte d’arômes »
Avec ces raisins, la qualité et l’évolution des arômes ne sont pas davantage garanties tout comme d’ailleurs le potentiel de garde. Le vinificateur peut contrer ces tendances en diminuant le temps de transport de la vendange, en séparant les jus, en recourant à la bioprotection, voire à des « méthodes correctives technologiques lourdes parfois contraires aux contraintes environnementales et aux attentes des consommateurs » relève encore Eric Meistermann.
Comment alors ne pas trop dégrader les qualités du raisin ? « S’adapter pour préserver l’acidité et limiter la hausse du degré, c’est combiner les leviers à notre disposition. Ces choix réclameront plus de technicité aux professionnels » explique Arthur Froehly, responsable technique du Conseil interprofessionnel des vins d’Alsace. Le matériel végétal a un rôle majeur à jouer. En raisonnant selon le terroir, les viticulteurs alsaciens peuvent s’appuyer sur la diversité des clones, la vigueur différente des porte-greffes ou encore l’innovation variétale pour par exemple assembler leurs cépages traditionnels à des variétés Resdurdoublement résistantes (mildiou/oïdium) comme Selenor et Opal qui apportent fraîcheur et acidité à une cuvée*.
Une autre voie pourrait être de récolter des raisins en sous-maturité pour en incorporer le jus, plus acide, à la cuvée finale. A la vigne, le viticulteur peut gérer le potentiel alcool en régulant la hauteur de la haie foliaire. Une année d’essais en 2020 a montré l’intérêt du rognage court qui ne conserve que 60 % du plan de végétation habituel. Mais cette alternative n’est pas adaptée à tous les terroirs et ses modalités pratiques doivent encore être précisées. Un essai d’ombrage sur riesling et gewurztraminer est prévu en 2022 ou 2023 à Colmar et à Châtenois. Il évaluera deux marques de filets offrant des protections de 50 à 75 %.
L’augmentation de la température, la modification du régime des pluies et la variabilité climatique en général auront un impact sur la vigne et son environnement. « Chaque maladie, chaque ravageur aura sa propre dynamique en fonction du décalage de la phénologie de la vigne » avance Céline Abidon, du pôle IFV Alsace. Difficile cependant de faire des pronostics. L’hypothèse d’une moindre occurrence du couple mildiou/oïdium en raison de sécheresses plus prononcées ne fait pas consensus. Drosophilia suzukii aura du mal à se multiplier au cours des été secs. En revanche, le nombre de générations de vers de la grappe a de bonnes chances de croître car l’insecte aura besoin de moins de temps pour se multiplier. Les maladies du bois resteront sans doute virulentes car le dépérissement des plantes hôtes proches des vignes en cas d’été chaud peut encourager les vecteurs à se réfugier dans la vigne. Cependant les symptômes foliaires risquent de se faire plus rares et les cas d’apoplexie plus fréquents.
*: Ces deux variétés sont inscrites au catalogue mais leur usage n’est pas prévu par le cahier des charges de l’appellation Alsace.