Depuis le début de la guerre, nos commandes sont en stand-by, explique une vigneronne bordelaise qui souhaite garder l’anonymat. Nous avons des rapports réguliers et sympathiques avec notre importateur basé à Moscou. La situation me désole car ce sont des interlocuteurs très gentils qui parlent un français magnifique. Nous attendons que tout revienne à la normale. »
Romaric Boursot, vigneron à Chambolle-Musigny en Côte de Nuits (21), a tout juste commencé une relation avec la Russie grâce à un agent qui l’a contacté il y a quelques mois. « Nous avions fait les papiers, ce qui prend toujours du temps pour une première expédition. Tout était prêt. Il s’agit d’une palette et demie pour une valeur de 17 000 € environ. Mais nous n’avons pas fait partir les vins car c’est trop compliqué. Ils seront faciles à recaser ailleurs. »
Le château de Parenchère (33), en Bordeaux supérieur, se sent plus concerné par la situation. La Russie représente moins de 3 % de ses ventes qui s’élèvent à 380 000 bouteilles dont 70 % à l’export. Il n’empêche : « Cela fait vingt ans qu’on travaille avec Luding, l’un des plus gros importateurs russes », confie Julia Gazaniol, la directrice commerciale.
Depuis le 24 février, elle a reçu deux mails de Luding, des messages qu’il a envoyés à tous ses fournisseurs. Le premier leur demande de s’armer de patience, rappelant que ce n’est pas la première crise. Dans le second, arrivé le 15 mars, il écrit : « Nous attendons les résultats des négociations entre l’Ukraine et la Russie. Nous comprenons votre anxiété. Nous réorganiserons la méthode de paiement en fonction des sanctions. »
Julia Gazaniol n’a pas expédié les dernières commandes de son client. « Nous n’avons pas beaucoup d’encours et je ne vais pas le relancer maintenant, ajoute-t-elle. Nous savons qu’il est pris dans un étau. J’attends. »
La cave du Sieur d’Arques, à Limoux (11), exporte 300 000 bouteilles en Russie, son cinquième marché export. « Nous travaillons avec Nicolas International, explique la responsable de cette zone Gabi van Dael. Nous sommes tous deux en contact régulier avec nos clients, des cavistes qui ont pignon sur rue. Les ventes vers la Russie continuent mais au ralenti. On trouve des solutions au cas par cas. »
Nicolas International distribue une vingtaine de châteaux et domaines français, avec lesquels il réalise 10 M€ de chiffre d’affaires par an. Son fondateur Claude Brunel connaît bien la Russie et son fils Nicolas dirige le bureau de Moscou. Claude relativise : « La situation est inquiétante mais nous continuons de travailler. Les flux sont ralentis, c’est tout. Les problèmes sont financiers, pas commerciaux. Et ils ne viennent pas des Russes, mais plutôt des banques et des assurances françaises qui obligent les Russes à faire des prépaiements. Les Italiens sont moins frileux. Nous allons perdre des parts de marché. »
Sylvie Lacube, responsable des ventes de J. Laurens, à Limoux (11), devait expédier une palette d’effervescents vers l’Ukraine. Comme la guerre a éclaté, ces vins ne sont pas partis. « Ce n’est pas un drame par rapport à ce qu’il se passe là-bas. » Elle est en contact avec son importateur et a mis les vins de côté, dans l’espoir que les affaires reprennent. « De toute façon, l’heure n’est pas à la fête pour boire des bulles. »