ès qu’elle l’a pu, Valérie Aigron, responsable export de Champagne Mailly Grand Cru, a repris l’avion pour l’étranger. Après la Pologne, l’Ukraine et la Roumanie en juin 2021, elle a enchaîné avec la Russie, l’Allemagne, le Luxembourg, l’Italie, la Suisse et l’Amérique latine de septembre à décembre. « La fin d’année est toujours soutenue, indique-t-elle. Mais, là, c’était particulièrement intense. Après un an sans rencontrer nos distributeurs internationaux, il s’avérait indispensable de renouer des contacts directs et refaire de la prospection sur place. D’ailleurs, tout le monde était ravi de se retrouver. »
Cette habituée des déplacements a parfois dû faire ses valises au dernier moment. Au Luxembourg, où elle devait participer à une dégustation fin octobre, elle a eu le feu vert des organisateurs à la dernière minute. En Suisse, le lieu d’un salon a changé au dernier moment.
Après une année 2020 en demi-teinte, Champagne Mailly Grand Cru a battu tous ses records de vente à l’export. La coopérative de Mailly-Champagne, dans la Marne, produit 500 000 cols en moyenne par an et vend 70 % de sa production en dehors de la France. « Tout ce que nous avons dégorgé a été vendu, annonce Valérie Aigron. Nous avons des relations de longue date avec nos partenaires export ; de plus de trente ans avec notre importateur autrichien, par exemple. Nos clients ont privilégié leurs fournisseurs historiques, et nous avons donc moins subi la concurrence d’autres opérateurs. » Durant ses séjours à l’étranger, elle a engrangé des commandes, et elle a même réussi à décrocher de nouveaux marchés au Mexique et au Royaume-Uni, au Sénégal et au Burkina Faso, fruits de prospections réalisées depuis Mailly.
Car ces bons résultats s’expliquent aussi par le travail réalisé durant les périodes de confinement. Les quinze salariés de l’entreprise n’ont jamais relâché leurs efforts. « Nous avons animé des dégustations en visioconférence avec les commerciaux de nos distributeurs, détaille la responsable. Avec notre distributeur russe, nous avons présenté nos cuvées à des consommateurs, qui les dégustaient en mangeant. La différence, c’est que c’est du grand public, pas des pros. » Le fichier des prospects a également été enrichi. Et comme beaucoup d’autres, l’entreprise a profité de cette période pour renforcer sa présence sur les réseaux sociaux.
Champagne Mailly Grand Cru n’est pas le seul à avoir vécu ce scénario. « La plupart de nos clients enregistrent des progressions à deux chiffres de leurs exportations, déclare Olivier-Antoine Gény, fondateur d’AOC Conseils. Ils se sont adaptés à la situation sanitaire inédite. » Philippe Carrille est de ce nombre. Le propriétaire du château Poupille, dans la commune de Sainte-Colombe en Gironde, affirme avoir appris à travailler différemment. Ce vigneron cultive 33 ha de vignes certifiées bio en AOC Castillon-Côtes-de-Bordeaux et Saint-Émilion. Il exporte 85 % de sa production (160 000 cols), dont plus de la moitié au Japon et en Corée, où il se rendait deux à trois mois par an avant la pandémie. Aujourd’hui, il reste chez lui. Pour autant, ses ventes à l’export ont progressé de 15 %, entre juillet 2020 et juillet 2021, et se sont stabilisées à ce niveau en fin d’année.
« Nous avons maintenu le contact avec nos importateurs via des visioconférences, des mails, par téléphone ou WhatsApp », souligne Philippe Carrille. Selon lui, son antériorité sur les marchés asiatiques lui a permis de tirer son épingle du jeu. « Les acheteurs se sont focalisés sur leurs marques fortes, observe-t-il. En Corée [du Sud], notre importateur, nous a soutenus. C’est le N° 1 de la distribution de vin. Nous travaillons avec lui depuis vingt ans. Il a doublé ses commandes. Au point que cela a compensé nos pertes enregistrées dans le CHR en France. » Au Japon, où il est en place depuis douze ans, Philippe Carrille a maintenu ses positions, et ses perspectives sont bonnes : les commandes devraient rester stables autour de 5 000 caisses par an sur les cinq ans à venir. Le vigneron n’a pas augmenté ses tarifs en 2021. Cette année, il s’inquiète toutefois de la hausse du prix des matières premières, qu’il va devoir répercuter en partie sur ses prix. « Nous l’avons fait savoir à nos partenaires en Asie, qui se montrent compréhensifs pour l’instant, confie-t-il. Reste à savoir quelle sera la réaction des autres pays. »
La cave des Vignerons de Buxy, qui commercialise 30 % de sa production à l’export, affiche également de bons résultats avec un chiffre d’affaires en croissance de 5 % en 2021. Pour Rémi Marlin, son directeur général, cette reprise ne s’explique pas uniquement par la fin des restrictions sanitaires. « La suppression des taxes Trump aux États-Unis, le boycott des vins australiens par la Chine ont aussi joué en notre faveur, affirme-t-il. À l’inverse, le Brexit a perturbé nos expéditions vers la Grande-Bretagne, notre premier débouché export. Nous avons réussi à tout livrer, mais avec des retards d’un mois entre la commande et la livraison, ce qui a créé des ruptures de nos produits en magasin. » Si la cave coopérative s’en est si bien sortie, c’est aussi grâce au travail de prospection qu’elle a conduit avant la crise sanitaire. « Nous avions démarré avec de nouveaux importateurs en 2019, qui nous ont suivis en 2021, précise Rémi Marlin. Ils ont donné la priorité à leurs contacts existants. » Et en 2020, malgré le Covid, les équipes de la cave se sont montrées très actives. Le personnel du caveau a produit des vidéos sur les cuvées de la coopérative et les a postées sur les réseaux sociaux, où des clients export les ont vues. « Nous profitons en outre de l’engouement actuel pour les vins de Bourgogne sur les marchés internationaux », complète Rémi Marlin.
« Quand le business a repris son cours normal, nous avons eu la chance d’avoir deux beaux millésimes à commercialiser, le 2019 et le 2020 », se réjouit de son côté Laurent Brusset, propriétaire du domaine Brusset à Cairanne (Vaucluse), qui exporte 60 % de sa production. Lui aussi fait une belle année 2021, malgré les galères de transport qu’il a subies, comme beaucoup de ses confrères. « Cet été, à cause du manque de containers, nos vins destinés aux États-Unis et au Canada, nos deux marchés phares, sont restés bloqués en cave trois à quatre mois, prêts à partir, se désole Laurent Brusset. Ces vins étaient vendus, mais nous ne pouvions pas lancer la facturation, car elle n’intervient qu’après l’enlèvement. » S’il reste optimiste, il compte sur les salons à venir, Wine Paris et ProWein, pour revoir ses importateurs. « Quand on ne rencontre pas ses clients, on a du mal à sentir la demande des marchés », précise-t-il.
Pour certains vignerons, la reprise a commencé dès 2020. Après être restées à l’arrêt jusqu’en avril 2020, les exportations du domaine Arnaud Lambert, à Saint-Just-sur-Dive (Maine-et-Loire), sont reparties comme jamais. « Nous avons enregistré 8 % de hausse entre avril 2020 et avril 2021, et nous restons sur cette lancée, annoncent Géraldine et Arnaud Lambert, propriétaires de ce domaine qui réalise 60 % de son activité à l’export, États-Unis, Canada et Australie en tête. Nous avons la chance d’être principalement distribués par des cavistes. Ces commerces ont été particulièrement dynamiques pendant et après les confinements. » Le domaine Arnaud Lambert, qui produit 250 000 cols par an de Saumur, Saumur-Champigny et Crémant de Loire, jouit par ailleurs du fort engouement des acheteurs internationaux pour les vins blancs. Lesquels représentent 50 % de sa production.
À Chignin en Savoie, Guy Quenard a lui aussi vu ses ventes à l’export redémarrer dès 2020. Sur ses 16,5 ha, le propriétaire du domaine La Gerbelle produit 80 000 cols en temps normal. « Pendant le Covid, les importateurs, qui ne pouvaient plus se déplacer, se sont plongés dans leurs anciens dossiers, estime-t-il. Nous avions engagé des discussions avec la SAQ (société des alcools du Québec) en 2019 qui n’avaient pas abouti. Elles ont débouché, au printemps 2020, avec la commande d’un millier de bouteilles d’une cuvée de Mondeuse, qui a été suivie par d’autres achats. » Guy Quenard a également décroché un petit marché en Corée pour ses vins blancs. En Suède, où il était déjà présent, son distributeur a d’ores et déjà effectué des réservations similaires aux années précédentes pour 2022. « Avant le Covid, nous faisions 10 % de notre activité à l’export, désormais, c’est 15 %, et nous devrions atteindre 20 % prochainement, expose Guy Quenard. Nous profitons de l’intérêt récent des acheteurs étrangers pour les vins de Savoie, et en particulier pour nos blancs. Et nous sommes aussi en bio, ce qui correspond également à la demande. »
Pour les vignerons qui débutent à l’exportation, les choses sont plus compliquées. Le jeune Florent Delaunay, à la tête du domaine Delaunay (30 ha), à Mauges-sur-Loire (49) dans le Muscadet, vend toute sa production en France. Depuis qu’il a pris la suite de son père en 2020, il cherche à se diversifier à l’international. En juin dernier, il a participé à un mini-salon à Varsovie organisé par Business France, avec l’appui de la région Pays de la Loire, qui a pris en charge la moitié des coûts d’inscription. « Nous avons noué des contacts intéressants, mais ils ne vont pas déboucher sur des commandes dans l’immédiat, indique le vigneron qui va retourner en Pologne cette année. Les acheteurs préfèrent se concentrer sur leurs fournisseurs habituels. Je sais qu’à l’export il faut être patient. » Pour preuve, une importatrice américaine l’a contacté en novembre 2020 après avoir dégusté ses vins au Salon des vins de Loire à Angers en… 2018. Florent Delaunay lui a adressé des échantillons et un mois plus tard, l’acheteuse a passé la commande de 8 000 bouteilles de Muscadet-Sèvre-et-Maine. Pas mal pour une première ! Sans compter qu’il pense pouvoir tripler les quantités avec cette partenaire.
Au domaine de Foltodon à Saint-Côme-et-Maruéjols dans le Gard, les choses sont un peu différentes pour Olivier Crouzet, qui cultive 12 ha en IGP Gard, exporte déjà 30 % de sa production (47 000 cols par an), principalement aux États-Unis où il ne travaille qu’avec un importateur. Pour en trouver d’autres, il avait prévu de participer à quelques salons, mais ils ont tous été annulés. « Le Covid a tout chamboulé », regrette-t-il. Mais ce n’est que partie remise. Cette année, il compte sur Millésime Bio pour se développer. Il s’est inscrit à la version digitale, les 24 et 25 janvier, et à l’édition physique, du 28 février au 2 mars. N’étant pas à l’aise avec le virtuel, il a fait appel à une agence commerciale qui a programmé ses rendez-vous en visioconférence avec une dizaine de grossistes des pays du Nord et deux importateurs britanniques. Bien lui en a pris. « J’ai eu douze rendez-vous sur les deux jours du salon. Sur les douze, dix viendront au salon physique, dont deux contacts intéressants : une importatrice pour l’Asie et un importateur pour l’Europe du Nord. J’ai déjà calé des rendez-vous avec tous ces contacts. Quant aux deux qui ne viendront pas au salon physique, je vais leur envoyer des échantillons. » Pour Olivier Crouzet, le Covid n’a été qu’un contretemps. Le revoilà prêt à relever le défi de l’export !
Partout, les exportations sont en hausse ; les interprofessions annoncent des chiffres épatants. En Champagne, les expéditions ont grimpé de 36 % en volume durant les douze mois de décembre 2020 à novembre 2021 par rapport aux douze mois précédents. Au cours de cette même période, les exportations de vin de Bordeaux ont bondi de 14 % en volume et de 33 % en valeur, d’après le CIVB. Une reprise tirée par la Chine continentale, où le volume commercialisé a progressé de 30 %, ainsi que par les États-Unis, en hausse de 26 %. Même tendance en Bourgogne, où les exportations ont bondi de 10 % en volume et de 17 % en valeur, grâce à un rebond marqué aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Chine et en Belgique. De son côté, la vallée du Rhône affiche une progression de 9 % en volume et de 23 % en valeur. Quant au vignoble alsacien, il a enregistré des records avec une progression de 20 % de ses exportations en volume en un an. Cette région affiche des envolées spectaculaires sur marchés lointains : États-Unis, + 32 %, Japon, + 25 % et Chine, + 137 %.