ignal apparemment faible, le changement du premier fournisseur de vins français sur le marché brésilien cache une véritable success-story vigneronne. Jusqu’à présent leader hexagonal au Brésil, le mastodonte bordelais Castel Frères cède la place en 2020 au modeste domaine du Père Guillot (expédiant 105 000 caisses de 9 litres de vins pour 1,4 millions €, contre 40 000 caisses pour 1,1 millions € par Castel).
Le Brésil « est un petit marché, on est facilement le premier quand on travaille avec les bonnes personnes » commente Laurent Guillot, à la tête domaine du Père Guillot, soit 20 hectares historiques depuis 1911 à Villié-Morgon (Beaujolais) et 50 ha depuis 1995 en Costières-de-Nîmes (Vallée-du-Rhône), ainsi qu’un négoce (20 millions de cols, dont 500 000 bouteilles issus de ses vignobles).
Issu d’une famille vigneronne, Laurent Guillot a connu des difficultés commerciales au milieu des années 1990. Luttant pour commercialiser ses vins du Beaujolais et des Costières-de-Nîmes, il s’est lancé à l’export, se développant progressivement en Chine, en Afrique, en Ukraine… et au Brésil grâce à sa rencontre avec l’agent commercial Rogerio Rebouças (voir encadré). Face à la demande croissante de vins de ses clients étrangers, Laurent Guillot s’est lancé dans une activité de négoce en 2010. Et ce malgré les réticences de son père.
« Il m’a dit "tu vas devenir une saloperie de négociant" » se souvient Laurent Guillot, regrettant qu’il y ait « toujours une guéguerre entre viticulteur et négociant. Mais il est complétement faux de croire que les négociants vivent sur le dos des viticulteurs… Je vois les marges que nous faisons sur nos bouteilles, elles sont fines… » note l’opérateur, soulignant que c’est compliqué pour tout le monde : « les viticulteurs doivent comprendre que les négociants sont leur bras armé. Ce n’est pas du bon sens de faire la guerre à son client… »


Enregistrant une hausse de 10 % de ses ventes en 2020 par rapport à 2019, le domaine du Père Guillot a commercialisé 18 millions de cols pour un chiffre d’affaires de 22 millions € (à 85 % à l’export). « On ne vend pas de vins excessivement chers » prévient Laurent Guillot, qui propose une large gamme de vins AOP du Beaujolais, du Mâconnais, des Côtes du Rhône et du Languedoc, ainsi que des vins de Pays et « un peu de vin d’Espagne, comme tout le monde, même si ce n’est pas l’idéal » reconnaît Laurent Guillot, qui explique qu’« il faut proposer de tout pour répondre aux demandes précises des clients (de plus en plus similaires à des appels d’offre) et pouvoir lui vendre ses autres vins (comme du Morgon) ».
Avec une petite structure de 40 employés (à la vigne, au chai, au conditionnement, à la commercialisation et à l’administratif), le domaine du Père Guillot reste performant et compétitif grâce à sa réactivité. « L’avantage de notre structure familiale est d’être réduite. Les clients peuvent m’appeler directement et les décisions se prennent dans l’heure. Notre approche est plus rapide que des groupes comme Grands Chais de France ou Castel » souligne Laurent Guillot.
« Nous avons grandi vite, mais je garde les pieds sur terre [pour durer]. Ma liberté reste de prendre le volant du tracteur ou de passer le balai dans le local » affirme Laurent Guillot, qui prépare sa succession pour les métiers de vigneron et de négociant avec ses deux fils. Plus axé sur la vigne, Edouard, 23 ans, gère les vinifications de la propriété (tout en suivant les commercialisations en Chine). Plus axé sur le négoce, Geoffrey, 25 ans, suit les clientèles françaises et étrangères (tout en suivant les assemblages). « Ils vont se compléter en commençant par bien connaître le cœur du métier : la vigne et la vinification pour savoir vendre le vin » conclut Laurent Guillot.
Sur le marché brésilien « le très bon rapport qualité/prix et la mise à disposition très rapide des commandes » sont des atouts confirme l’agent Rogerio Rebouças, qui souligne que l’offre du domaine du père Guillot bénéficie d’un positionnement sur les ventes en ligne et en grandes surfaces. « Le marché brésilien est demandeur de produits à petits prix en ce moment. Le taux de change étant très défavorable au cours du dernier semestre (le real a chuté de 25% en 2020) » rapporte Rogerio Rebouças, pour qui « cette année la dispute sera encore plus rude » en attendant « avec impatience l'accord entre l'Union Européenne et le Mercosur pour payer moins de taxes et avoir moins de contraintes techniques ».