Selon l’organisme professionnel VinPro, instigateur du projet, près de 50% des vignes en Afrique du Sud ont plus de 16 ans et devront être remplacées au cours de la décennie à venir. Le manque de rentabilité du secteur a poussé des viticulteurs, soit à différer leurs plantations, soit à quitter la filière pour s’orienter vers des cultures plus rentables comme les agrumes ou les fruits à coque. Quatre années de sécheresse ont également eu des conséquences extrêmement néfastes, car le résultat financier des exploitations dépend encore beaucoup de la commercialisation volumique. Si l’équilibre entre l’offre et de la demande s’en est trouvé amélioré, la revalorisation des prix n’a pas été suffisante pour faire évoluer la rentabilité, car elle n’a pas compensé la baisse des volumes. Entre août 2018 et juillet 2019, les exportations en vrac – qui représentent 55% des exportations totales – ont chuté de 30% en volume. Bon nombre d’acheteurs internationaux se sont orientés vers d’autres sources d’approvisionnement, moins chères, dans le monde. Le courtier international Ciatti soulève aussi un autre problème : l’Afrique du Sud « a perdu des parts de marché à travers le monde à cause de deux années de faibles disponibilités et d’une augmentation des prix, mais aussi en raison d’un certain scepticisme international quant aux approvisionnements futurs (les nouvelles plantations étant entravées par un manque de disponibilités au niveau des porte-greffes) ».
La recherche appliquée pour optimiser la productionFace à cette situation, VinPro a mis sur pied en 2017 un programme de recherche appliquée destiné principalement à « aider les producteurs à atteindre une meilleure pérennité, à optimiser leurs rendements et à produire des quantités maximales correspondant aux niveaux de qualité souhaités », explique Emma Carkeek, l’une des techniciennes chargées de la mise en œuvre de Gen-Z. L’idée est de formaliser des recherches empiriques réalisées sur le terrain par les vignerons eux-mêmes et de créer des parcelles d’essai au sein des exploitations, pour que les résultats soient véritablement pertinents pour chaque vigneron. Les principales thématiques portent sur les clones, les porte-greffes, les cépages – sans pour autant faire de la création variétale – les systèmes de palissage et les couverts végétaux. A l’heure actuelle, il existe une vingtaine de parcelles destinées aux clones, une quinzaine aux cépages, neuf aux porte-greffes et deux aux systèmes de palissage. La durée de vie des couverts végétaux permet de varier souvent les sites et les types de cultures utilisées. Cette année, huit mélanges de cultures sont expérimentés sur seize exploitations.
L’objectif du projet est d’obtenir des résultats concrets, applicables directement par les producteurs (photo : VinPro)
L’importance des cépages méditerranéensLe programme a été décidé et mis en place avant que les pires effets de la sécheresse ne se fassent sentir. Le manque d’eau ne figurait d’ailleurs pas parmi ses motivations. Depuis, l’absence de précipitations a modifié la donne. « A cause de la sécheresse, les cépages que nous plantons depuis quelque temps y ont trait. Nous voulons voir s’ils sont résistants à la sécheresse ou du moins plus résistants que d’autres cépages », explique Emma Carkeek. « Chaque région est différente. Ainsi, dans le Swartland par exemple, plus impacté par la sécheresse que d’autres régions, nous menons des essais avec le grenache. Sur une parcelle, nous avons même planté une dizaine de cépages, tous rouges et notamment des variétés méditerranéennes ». Dans d’autres secteurs les problématiques sont différentes. « Dans la région de Breedekloof, où la production est plus élevée, nous étudions des cépages qui sont également résistants à la sécheresse et qui ont besoin de moins d'eau, mais qui sont aussi très productifs ». Certaines parcelles ont déjà donné du vin, ensuite dégusté par les vignerons locaux pour cerner les caractéristiques et déterminer le potentiel du ou des cépages en question à être implantés sur place.
Interrogée sur l’éventuelle mise en lumière de cépages qui seraient à même de détrôner des variétés sud-africaines phares comme le pinotage, la technicienne se montre sceptique. « Chaque région d'Afrique du Sud bénéficie d’un climat et de cépages qui y sont adaptés. Nous savons donc que le cabernet, le pinotage et le chardonnay, par exemple, se comportent bien à Stellenbosch et je ne pense pas que cela va changer. Il s'agit plutôt d’implanter les bons clones sur les bons terroirs et sur des porte-greffes adaptés. Il faut peaufiner les différents choix pour assurer une meilleure productivité et une meilleure qualité dans chaque région ». Elle réfute aussi l’hypothèse selon laquelle les vignobles sud-africains sont mal adaptés aux conditions climatiques actuelles. « La sécheresse était très sévère et même les cépages qui étaient résistants à la sécheresse ont souffert. En revanche, ce que la sécheresse nous a montrés, c’est que nous devons mieux gérer les ressources dont nous disposons ».
Les effets durables de la sécheresseDepuis quelques mois, les précipitations redonnent de l’espoir aux vignerons quant au potentiel de production pour 2020. De fortes précipitations en juillet et en août ont permis de faire remonter le niveau des barrages. D’après Ciatti, au Cap, les niveaux sont passés de 57% de leur capacité en août 2018 à 78% cette année. « Les températures ont également été très basses parfois, permettant à la vigne de se mettre au repos, et tout se passe bien au vignoble ». De là à affirmer que l’Afrique du Sud va retrouver son potentiel de production historique, Emma Carkeek n’est pas aussi catégorique. « Personne ne sait vraiment pendant combien de temps les effets vont durer. Cette année, les rendements ont été faibles et je pense que beaucoup de gens auront été surpris. Tout le monde espère que l'année prochaine nous nous rapprocherons de notre potentiel à long terme. Quoi qu’il en soit, je ne pense pas que la situation actuelle soit immuable et que certains vignobles ne produiront désormais que 3 tonnes à l’hectare ».
Diffusion des résultatsEn attendant d’avoir une idée plus précise du potentiel de production pour 2020, VinPro va poursuivre ses expérimentations avant de diffuser les résultats sur un site internet dédié, en libre accès. « Il faut compter quatre ans avant qu’une vigne ne produise des raisins donc nous n’avons pas encore collecté beaucoup de résultats. De plus, nous voulons voir émerger de véritables tendances avant de divulguer des données. L’idée, c’est de mettre en œuvre des pratiques sur le terrain, dans des vignobles existants pour que les vignerons voient les résultats concrets et ne les lisent pas dans une revue. Nous partons du principe qu’on ne croit que ce qu’on voit ! »