Racontant l’histoire des 19 crimes pour lesquels ceux qui allaient devenir les premiers colons australiens étaient envoyés au bagne, la marque a réussi à la fois à créer un buzz médiatique impressionnant et à redorer le blason de la catégorie des vins australiens, notamment aux Etats-Unis où ses ventes ont fait un bond de 100% lors de la première année de lancement. « Le timing était essentiel », précise par ailleurs Diana de Jager, coordinatrice marketing au sein de la société sud-africaine Overhex Wines International qui, à l’automne 2018, a lancé la première marque sud-africaine équipée de réalité augmentée après avoir été inspiré par la démarche australienne. « Treasury était au bon endroit, au bon moment, avec le bon produit. Ils n’ont pas simplement utilisé de la technologie, ils ont conçu les étiquettes et l’histoire de la marque pour qu’elles soient au diapason avec le public cible. De même, la campagne sur les réseaux sociaux était en parfaite cohérence avec le packaging et l’histoire ». Son avis est partagé par Sylvain Leveau, directeur commercial France Ouest chez MCC France qui regroupe des fabricants d’étiquettes tels Barat et Le Clos St-Emilion. « Il y a beaucoup d’opérateurs qui utilisent leur étiquette actuelle pour y mettre de la réalité augmentée en ajoutant du contenu. Mais l’exemple le plus réussi – 19 Crimes – a créé son étiquette pour faire de la réalité augmentée. Chaque fois que 19 Crimes sort une nouvelle histoire, c’est un peu comme Harry Potter : un nouveau vin, un nouvel épisode, une nouvelle réalité augmentée. L’association des trois est vraiment formidable. C’est le storytelling poussé à l’extrême ».
L’histoire vraie des criminels envoyés au bagne en Australie racontée, en direct, par l’un des inculpés
Raconter une histoireTreasury décline désormais son appli sur de nombreuses marques de sa gamme – Gentleman’s Collection, The Walking Dead, emBRAZEN, Matua, Wolf Blass Yellow Label et Lindeman’s Bin – réalisant ainsi des économies d’échelle. Son timing explique, en effet, une partie de sa réussite. Etre précurseur compte pour beaucoup, mais le lancement de cette technologie a également coïncidé avec la montée en puissance du « storytelling » dans le marketing du vin. Ce constat n’est pas passé inaperçu chez Overhex Wines. La société sud-africaine, qui commercialise environ 15 millions de litres de vins par an sur le marché local et à l’export, a conçu l’étiquette de sa marque Mensa autour de ce concept. « Lorsque le consommateur scanne l’étiquette, celle-ci se transforme en livre et raconte l’histoire complète de la marque », explique Diana de Jager. Outre le fait que ce choix permet d’exploiter une tendance forte dans les pays anglo-saxons – celle des clubs de lecture auxquels on associe souvent le vin – il rend aussi l’utilisation de la technologie plus facile à comprendre. Car, comme le fait remarquer Sylvain Leveau, il ne s’agit pas uniquement d’utiliser la réalité augmentée, encore faut-il le signaler aux consommateurs.
Interpeller les consommateursPour ce faire, MCC a développé une pastille à coller sur la bouteille et une collerette pour attirer l’œil dans un rayon vins très chargé. « Un grand groupe comme Coca Cola a les moyens de le faire savoir dans les médias, mais pas un vigneron », note-t-il, insistant aussi sur la nécessité de beaucoup échanger avec cavistes et distributeurs pour qu’ils s’approprient le produit et sa technologie. « L’intérêt manifesté par la filière vin est moindre que dans d’autres filières comme les spiritueux, non pas uniquement parce que les budgets marketing sont sans commune mesure, mais également parce que les professionnels du vin n’en comprennent pas encore l’utilité. Certains professionnels qui sont très branchés sur les réseaux sociaux, par exemple, l’ont compris, mais d’autres en sont encore très loin. Il faut que cette technologie fasse son chemin, qu’on comprenne que c’est une vraie aide à la vente ». Jean-Luc Baldès du Clos Triguedina à Cahors fait partie des premiers utilisateurs en France. « Chaque marque est adaptée à la réalité augmentée si on y croit », estime Sylvain Leveau. « Les utilisateurs sont, soit de grosses entreprises avec des marques internationales qui ont les moyens de communiquer dessus, soit des vignerons susceptibles de créer le buzz autour du concept ». De même, le contenu sera plus ou moins complexe selon le niveau d’implication, et d’investissement. « Nous proposons une réalité augmentée à deux vitesses : celle du type utilisé par Treasury Wines avec des développements très importants en 3D qui sont extrêmement coûteux, et puis une solution adaptée aux vignerons qui fait paraître, par exemple, un vigneron qui parle devant ses vignes ». Le coût peut ainsi démarrer autour de 2 000 euros pour les solutions les plus simples. « Un long métrage en 3D coûtera bien évidemment beaucoup plus cher qu’une petite vidéo de vigneron. La technologie elle-même ne coûte pas cher, c’est la création du contenu qui a un prix ».
MCC France a conçu une collerette et une pastille pour signaler la présence de réalité augmentée sur les étiquettes
Des applications multiplesLa technologie repose sur des superpositions d’image qui sont captées et reconnues par l’application. La reconnaissance s’appuie sur un algorithme qui identifie des points caractéristiques à partir des images de l’étiquette. La nécessité d’utiliser un smartphone pour capter les images oriente le public cible : « Cette technologie est sans aucun doute plus adaptée à de jeunes consommateurs, mais avec le bon contenu elle peut séduire d’autres clientèles », estime Diana de Jager, qui affirme que les seules difficultés rencontrées lors de la mise en œuvre de la réalité augmentée sont d’ordre budgétaire. « On peut faire beaucoup de choses avec la technologie », assure-t-elle. « Elle évolue en permanence donc nous sommes déjà en train de travailler sur une deuxième version de l’appli qui sera lancée en août. L’idée est d’ajouter des fonctionnalités pour le consommateur comme des suggestions d’alliances mets et vins, des explications sur le vignoble et des bons de réduction ».
Un dialogue instantanéPour la société sud-africaine, s’il est encore difficile de mesurer l’impact concret sur les ventes, les avantages de la réalité augmentée sont multiples : « L’appli nous a aidé à lancer notre marque et à la construire. D’après les retours, les consommateurs l’adorent. Elle permet de nouer le dialogue de façon immédiate. L’étiquette est très attractive et, conjuguée à l’utilisation de l’obturateur Helix, nous a donné une image très novatrice, ce qui a séduit les acheteurs et nous a permis d’obtenir des référencements ». Après avoir été la première société sud-africaine à avoir recours à la réalité augmentée, Overhex Wines a fait des émules dans son pays, preuve de l’intérêt porté à cette technologie. « L’utilisation de la réalité augmentée offre un moyen de faire évoluer la perception des consommateurs vis-à-vis des vins sud-africains. Si nous adoptons les nouvelles technologies et devenons plus novateurs, en ajoutant une vraie valeur ajoutée à nos produits, je pense que nous pouvons permettre à l’Afrique du Sud de progresser ».
L’atomisation du secteur comme freinDe son côté, Sylvain Leveau évoque avec un lyrisme certain les atouts de la réalité augmentée, tout en reconnaissant que le nombre d’entreprises françaises à l’avoir adoptée sont encore rares dans le monde du vin. « Nous avons pris le développement de la réalité augmentée très au sérieux car elle permet de donner de l’information. Elle rend la marque plus attractive et elle crée un buzz important car les exemples sont encore peu courants dans le domaine du vin. Elle permet de démocratiser le vin, d’humaniser le contenu et de mettre en avant le vigneron. C’est un outil de vente indéniable et l’un des gros avantages, c’est que le contenu est modifiable en temps réel. On peut tout imaginer avec la réalité augmentée ». Les grandes marques de spiritueux l’ont compris. Elles ont aussi le budget marketing requis pour le faire savoir et la possibilité de réaliser des économies d’échelle que n’ont pas forcément les vignerons, ce qui peut expliquer la réticence de ces derniers. « Tant bien même qu’un producteur commercialiserait 100 000 bouteilles, il peut très bien mettre en marché 25 étiquettes différentes. En revanche, certaines régions axées sur les marques comme la Champagne auraient plus de facilités à utiliser la réalité augmentée ».
Vivre avec son tempsCela d’autant plus que celle-ci peut s’associer à d’autres technologies comme la NFC (Near Field Communication) ou communication en champ proche qui permet l’échange d’informations entre deux appareils compatibles à courte distance. « Ce système est déjà en place chez les spiritueux. Il permet de savoir à l’instant T où se trouve son produit. Beaucoup de parfums sont équipés de NFC, autant pour la sécurité que pour la traçabilité. Cette technologie sera complémentaire à la réalité augmentée mais avec des pouvoirs bien supérieurs », affirme Sylvain Leveau. Pour Diana de Jager, il s’agit d’être constamment à l’affût de technologies qui permettent de maintenir et de renforcer sa compétitivité : « Il y a toujours des modes, certains doivent être suivis, d’autres pas. Mais globalement, je pense que pour le secteur du vin, c’est toujours intéressant de vivre avec son temps et d’adopter de nouvelles technologies. On y trouve un écho très favorable auprès des consommateurs »
Treasury Wines a fait évoluer la réalité augmentée sur ses différentes gammes. Sur « The Walking Dead », par exemple, la société transforme la technologie en véritable expérience cinématographique, faisant même interagir deux bouteilles ! Reprenant les codes de la série télévisée à succès du même nom, la marque crée un effet wow indéniable, et pousse ses clients à acheter plus d’une bouteille. La marque Matua, quant à elle, reproduit des paysages frais de la Nouvelle-Zélande pour indiquer la température de service idéale, tandis que emBRAZEN raconte l’histoire de femmes pionnières au moment où le mouvement féministe #MeToo prenait son essor. La vodka Absolut emmène ses consommateurs sur une visite en 3D de ses installations pour comprendre son processus de fabrication tandis que la tequila Jose Cuervo évoque même un volcan en éruption pour expliquer la composition des sols où sont cultivées ses fameuses agaves. La marque de bière roumaine Ursus a, quant à elle, choisi de localiser les bars où sont proposés ses produits, alors que sa rivale irlandaise Guinness préfère une appli plus créative où ses consommateurs décorent leur verre, se prennent en photo puis diffusent l’image sur les réseaux sociaux. A l’avenir, on pourrait voir apparaître des applis qui s’activent différemment selon le lieu, des associations de réalité augmentée et virtuelle, et peut-être surtout des jeux vidéos, véritables « attrape-consommateurs » qui exploitent la mode internationale des jeux en ligne.