La campagne 2018-2019 s’est caractérisée notamment par un revirement à 180° : d’une situation de pénurie, le marché mondial du vrac est passé à des volumes sinon excédentaires, du moins très abondants. Le faible niveau des stocks a sans doute sauvé la mise dans plusieurs pays, et l’écart d’une trentaine de millions d’hectolitres entre la production mondiale en 2018 et la consommation, a pu être absorbé en partie en reconstituant les stocks. Néanmoins, la dégringolade des prix constatée tout au long de la campagne a témoigné, non seulement des surplus disponibles, mais également d’une qualité hétérogène. Le comportement des acheteurs a immédiatement reflété ces différentes caractéristiques. « Globalement, que ce soit en Espagne, en Italie ou en France, on a vu très peu de grosses opérations. Il s’agissait plutôt de volumes moindres, au coup par coup, de clients qui mettent du temps à prendre leurs décisions, mais par contre qui retirent très rapidement. On était sur des contrats de type 1 000 hl, retirés dans les trois semaines pour ne pas se faire piéger, pour acheter au bon prix. Les ajustements tarifaires ont donc été permanents, ils changeaient d’une semaine à l’autre », constate Vincent Capmas, avant d’ajouter : « Tout le monde à tardé à acheter et tarde encore. Le phénomène continue. Pour prendre l’exemple de l’Allemagne, normalement, à fin octobre ils ont déjà fait leurs achats. Or, cette année, tous les contrats n’ont pas été clôturés sur des génériques de base. Les fluctuations importantes de prix et de volumes d’une année sur l’autre encouragent ce type de comportement ».
Sauf incident climatique majeur, les prix devraient continuer à chuter
Les incertitudes climatiques de ces dernières semaines ont conduit à l’instauration d’un statu quo en matière de prix, « une sorte de trêve jusqu’à la mi-mai ». Mais d’ores et déjà, les toutes premières indications laissent envisager une récolte 2019 de bon niveau quantitatif en Europe. « En Espagne, mais aussi en France, dans le Languedoc, il y a eu une très belle sortie. La plante, malgré le mildiou de l’an dernier qui n’attaque pas la vigne elle-même, est partie dans des conditions de repos parfaites. Il y a eu de l’eau, le soleil ressort, et la sortie est donc très belle. Les aléas climatiques – grêle, gelées etc – ont été relativement légers jusqu’à présent. Donc pour l’instant, on peut s’attendre à une belle récolte en 2019, en France et globalement autour de la Méditerranée ». De quoi accentuer la pression sur les marchés : « Je pense que s’il n’y a pas de grosse catastrophe climatique, les prix vont continuer à chuter pour aller très bas ». Un phénomène qui ne devrait pas concerner que l’Espagne, déjà fortement touchée. « Plus il y a du volume globalement, plus les prix baissent en entrée de gamme et forcément, plus toutes les catégories sont tirées vers le bas. Sur toutes les appellations du Languedoc, par exemple, on a des prix à la baisse. Les Corbières étaient à 145 euros l’an dernier, et cette année ils sont autour de 115-120 euros, et si on propose à un producteur de lui acheter 1 000 hl à 110 euros, il le fera. Il y a beaucoup de stocks ».
Vincent Capmas, courtier chez Murphy Wine Company basée à Montpellier
La Chine est arrivée à la rescousse du Chili
Même si ce sont les trois principaux pays producteurs européens qui orientent le marché international, l’Hémisphère Sud intervient à certains niveaux. D’après les premières estimations, sa production aurait baissé d’un peu moins de 10% cette année, ce qui pourrait conduire généralement à une stabilité des prix, avec certaines exceptions. « Le Chili a réussi à écouler de gros volumes en Chine en fin d’année dernière, mais l’Argentine n’a pas pu en faire de même et elle est donc pleine de vins. Il y a beaucoup de rouges notamment, à tel point qu’il y a eu une aide régionale à l’exportation sur les rouges. Jusqu’au 31 mai, l’aide est de 1 ct $ par litre, et elle accompagne une baisse des prix ». Le Chili, en revanche, tire bien son épingle du jeu, tout en ayant perdu un gros contrat aux Etats-Unis à cause de l’augmentation de ses tarifs. « En 2018, le Chili a eu une récolte faible, des prix de raisins très élevés et des vins, par conséquent, dont les prix étaient aussi élevés. Leur premier débouché – les Etats-Unis – a refusé d’acheter à ces prix-là. Le Wine Group, par exemple, a cassé un contrat de 40 millions de litres avec plusieurs fournisseurs au Chili. Ils ont mis un certain temps pour s’en remettre, les prix ont commencé à baisser et en fin d’année 2018, 80 millions de litres sont partis en Chine. Cela les a sauvés et leur a permis de voir la récolte 2019 avec plus de sérénité ».
L’Argentine propose les tarifs les plus compétitifs au monde
L’Argentine, quant à elle, est bloquée par des coûts de transport prohibitifs. « Le prix de départ actuellement en Argentine est beaucoup plus compétitive que partout ailleurs dans le monde, y compris l’Espagne et de loin. Si en Espagne on est à 2,80 euros le degré hectolitre sur du 12°, soit environ 33 euros l’hectolitre prix départ, en Argentine, on est à 24 cts de dollar pour des degrés plus élevés, soit 20 euros. Mais le transport jusqu’à Valparaiso coûte 8 dollars l’hectolitre, puis 12 dollars de plus jusqu’en Europe, soit 20 dollars de transport, et comme l’Argentine n’a pas d’accord avec l’Europe, il faut rajouter 10 euros. Au total, le prix rendu en Allemagne par exemple, s’élève à environ 55-58 euros l’hectolitre, alors que l’Espagne est à 48 euros transport compris ». En Afrique du Sud, les difficultés sont d’une autre nature. Les derniers chiffres de Vinpro font état d’une récolte de 9,3 millions d’hectolitres, l’une des plus faibles de la décennie. « Ce qui est très surprenant en Afrique du Sud, c’est qu’avant les vendanges tous les voyants étaient au vert. Mais une fois les raisins arrivés en cave, il n’y avait pas de jus. La sécheresse de l’an dernier a tellement affaibli la plante, qu’elle a produit des raisins avec très peu de jus, ou bien peu de raisins avec peu de jus. Cela, malgré des conditions idéales, sans maladie et avec des précipitations ».
Retournement de situation en Afrique du Sud
Ce phénomène mettra les producteurs sud-africains encore plus sur le banc de touche du marché mondial. « Depuis deux ans, ils n’arrivent pas à fournir leurs clients. Ils ne répondent même plus aux appels d’offre allemands parce qu’ils ne passent pas au niveau des prix. Cela va peut-être imposer un changement stratégique pour ce pays », estime Vincent Capmas. Seul élément salvateur, la force du marché domestique, qui représente 50% des volumes et où la consommation se maintient. « Les gros opérateurs se sont donc reportés sur le marché national, et ont augmenté leurs prix. Beaucoup de vins espagnols ont été importés, de même que des vins argentins et peut-être chiliens ». L’Afrique du Sud s’est donc écartée d’un marché mondial du rosé en plein essor, ce qui ne saurait qu’être favorable à la France. « L’Afrique du Sud était un gros producteur de rosé. Or, leur marché domestique est très demandeur de rouge, donc au moment de la récolte, ils peuvent basculer des rosés vers le rouge et, par conséquent, ont produit moins de rosés ». Toutes couleurs confondues, l’Afrique du Sud a déjà été remplacée par d’autres pays fournisseurs : « Nous avons déjà basculé notre sourcing en blanc, rosé et rouge sur l’Espagne en grande partie, notamment pour des marchés comme l’Angleterre et l’Allemagne », confirme le courtier.
Les pays de l’Est hors jeu
Ailleurs dans l’Hémisphère sud, la tendance des prix est plutôt à la stabilité, sauf en Nouvelle-Zélande, qui semble échapper à toutes les lois du commerce international. « Malgré une hausse de 4-5% en volume, et des disparités qualitatives, les prix du sauvignon blanc de Marlborough tournent autour de 3,80-4 NZD contre 3,10-3,20 NZD il y a deux ans. Et il ne s’agit pas forcément de petits volumes. Il y a peu de temps, Aldi Hollande a lancé un appel d’offres pour 300 000 cols de sauvignon blanc néo-zélandais. Cela fait quand même presque dix conteneurs ! » Il n’en reste pas moins, que c’est le trio de tête en matière de production qui dicte les grandes tendances du marché. Malgré une montée en puissance des pays producteurs de l’Europe de l’Est lors de la campagne 2017-2018, on en a peu entendu parler cette année. « Ils ont su, certes, profiter d’opportunités pour vendre plus cher vers d’autres pays quand il y a eu une pénurie de vins, mais par la suite, ils sont revenus vers la Russie », note Vincent Capmas. Et puis, malgré tout, les opérateurs espagnols se montrent non seulement mieux orientés au niveau tarifaire, mais aussi parmi les plus compétents. « Sur le plan technologique, les caves coopératives et particulières espagnoles sont très bien équipées et ceux qui les représentent au niveau international sont de vrais professionnels du vin. Les caves coopératives espagnoles sont comme des wineries australiennes ou californiennes – elles ont de la technologie, grâce à l’Europe, qu’elles savent très bien utiliser. Trouve-t-on le même niveau de professionnalisme dans les pays de l’Est ? »
Quoi qu’il en soit, les semaines à venir seront déterminantes : « S’il n’y a pas de catastrophe climatique, je pense que les prix vont baisser jusqu’en juillet, pour stagner en août et jusqu’à l’arrivée de la prochaine récolte », prédit Vincent Capmas.
*Avec des bureaux à Montpellier, au Chili, en Afrique du Sud, en Australie/Nouvelle-Zélande et un partenariat avec le deuxième plus gros opérateur californien – Bronco Wine Company – la Murphy Wine Company est particulièrement bien placée pour observer les grands courants d’affaires au niveau international. Traitant environ 1 million d’hectolitres par an, son sourcing concerne principalement la France (20%), l’Australie (20%), l’Afrique du Sud (20%) et la Californie (20%) avec un complément d’achats en Espagne, au Chili et en Nouvelle-Zélande, pour ne citer qu’eux. Côté débouchés, la société de courtage travaille principalement en Allemagne, aux Etats-Unis, en France et en Grande-Bretagne, se positionnant comme l’un des plus gros courtiers sur le marché allemand, où ses clients metteurs en marché de bouteilles et de BIB travaillent en grande partie avec Aldi et Lidl, « de loin les plus gros acheteurs de vins conditionnés en Allemagne ».