ans l’inconscient collectif, les vins de Bordeaux sont associés à des étiquettes aussi classiques qu’austères. Où les portails, blasons et inévitables châteaux semblent former une trilogie indépassable, pour ne pas dire inévitable. Pour rompre avec ce carcan et séduire de nouveaux consommateurs, les opérateurs girondins sont nombreux à souhaiter dépoussiérer leurs packagings.
Actuellement, « je n’ai que des demandes de modernisation » témoigne l’artiste-auteur Pauline Lenain, de l’atelier graphiste Lettre M. En pratique, ses propositions doivent répondre à une demande paradoxale : affirmer un nouveau cap visuel pour séduire de nouveaux acheteurs, sans totalement remettre en cause le positionnement et les marchés existants. « Il est nécessaire de rassurer et de ne pas partir dans tous les sens. Il faut garder l’identité et la plus-value pour que le propriétaire se sente à l’aise avec sa nouvelle étiquette. C’est de la couture sur-mesure » analyse Pauline Lenain.
Globalement, les demandes sont différentes selon qu’elles viennent d’un grand cru classé ou d’une propriété ayant plus de marge de liberté. Sans oublier les caves coopératives, où les objectifs commerciaux ont souvent le mérite d’être sans faux-semblants et de permettre des essais pour le moins culottés. Déclinée en blanc, rosé et rouge, la nouvelle gamme French Madame « essaie de mettre en place un marketing de demande pour faire entrer nos étiquettes dans le XXIème siècle et cibler les millenials » explique Aude-Marie Clément, la responsable marketing d’Univitis.
Ciblant les néoconsommateurs avec un prix attractif (5 euros en grande distribution), l’étiquette de ce bordeaux mise sur les clins d’œil avec… Paris. Avec ses monuments, la capitale affirme un positionnement made in France tout en rappelant les « clichés très positifs » de la femme française. Le tout dans un franglais devant séduire les jeunes consommateurs français et étrangers. Résolument moderne, l’approche de la gamme French Madame déploie des couleurs lumineuses et printanières, tout en conservant une police de caractère rétro, tout l’enjeu étant de ne pas être trop moderne. « Il faut rester dans les codes du vin, en cohérence avec Bordeaux » explique Aude-Marie Clément.
Dans un tout autre univers, celui des grands crus classés bordelais, l’enjeu de la modération dans la modernisation est encore plus marqué. En témoigne la refonte tout en subtilités de la gamme du château Haut-Bailly (30 hectares en Pessac-Léognan). Elle joue la carte changement dans la continuité pour ne pas désarçonner son image. « L’étiquette est notre ADN, notre reflet » explique Véronique Sanders, la PDG du château Haut-Bailly. Estimant que ses « étiquettes ont toujours été très épurées », elle a voulu relever le défi de les rendre à la fois classiques et modernes : « intemporelles ». Dans le cas de cette nouvelle gamme d’étiquettes, il n’est vraiment pas question de création ou rénovation brutale de la gamme.
Profitant d’une étiquette sobre, avec un texte dans un liseré, la présentation du premier vin reste inchangée. Le deuxième vin est rebaptisé : La Parde de Haut-Bailly devient le Haut-Bailly II, marquant un deuxième chapitre reprenant les codes du grand vin (sans reprendre le terme de château). Le troisième vin tranche désormais, avec étiquette plus petite et n’affichant plus « le Pessac-Léognan de Haut-Bailly », mais « HB Haut-Bailly ». Seule la typographie d’origine est conservée.
Les trois vins Haut-Bailly représentent 50 % de la production du domaine pour le grand vin, 30 % pour le deuxième, et 20 % pour le troisième.


L’épure est une tendance forte pour moderniser les étiquettes note Pauline Lenain. « On ne peut ne pas être dans la fioriture ou l’excès de couleurs. Il faut de la mesure sur l’étiquette : c’est un petit espace qui doit être calme, stable et rassurant » explique l’artiste, qui a pour cela recours à des papiers au toucher attractif : « le consommateur cherche des sensations, du relief et de la subtilité, pas du lisse » explique-t-elle. Si « la dorure galbée fonctionne bien à Bordeaux, la petite dorure n’est plus d’actualité » ajoute Pauline Lenain, rappelant que ses « clients sont réceptifs à de petites évolutions : on ne peut pas se permettre de tout changer, sauf sur de petites cuvées qui peuvent être exubérantes. »
Pour réussir une actualisation d’étiquette tout est donc dans le juste milieu entre classicisme et modernité. C’est avec cet état d’esprit qu’Univitis prépare la refonte de ses étiquettes Grand Théâtre, une cuvée anciennement tirée à 1,5 million cols/an, et stagnant aujourd’hui à 600 000 cols (pour comparaison, French Madame vise 120 000 cols par couleur). Pour reconquérir les marchés, Univitis va rénover le packaging pour « rassurer et être plus efficace, avec un papier premium et des traits plus contemporains » explique Aude-Marie Clément. Cette nouvelle étiquette sera plus sage que la cuvée Paul et Sarah, en vin de France et Bergerac, testé en 2017 en lancé en 2018, dont la bouteille à vis affiche des hipsters sur son étiquette. Un degré de liberté encore peu envisageable à Bordeaux.
La gamme Paul et Sarah est distribuée CHR, avec un positionnement pris de 15 à 20 euros sur table.